IES LITTERAIRES
C'est un grand ecrivain. Quand il disait, dans son discours de reception
a l'Academie francaise, que les ouvrages bien ecrits sont les seuls qui
passeront a la posterite, il songeait a lui, et il avait raison d'y
songer. Par sa nature, par le fond de sa complexion, sinon par ses
idees. Buffon se rattachait au XVIIe siecle. Il en avait l'instinct de
dignite, l'amour de l'ordre et de la composition simple et vaste,
un certain penchant a la noblesse d'attitude et a la pompe. Cela se
retrouve dans son style, et, comme ecrivain, Buffon semble appartenir
plutot au XVIIe siecle qu'a celui dont il etait. Il est avant tout
"eloquent", sa parole est "belle", plutot qu'elle n'est vive, piquante,
rapide, spirituelle ou divertissante. Il a le genie "oratoire". Sa
grande histoire se deroule majestueusement, dans une grande unite, avec
une suite assuree, dans un ordre severement medite et prepare, comme un
seul "discours" continu, qui marche de ses premisses a ses conclusions.
Il a fait un _discours_ sur l'univers, comme Bossuet un discours sur
l'histoire universelle. Tout cela revient a dire que le genie de Buffon,
comme tous les genies oratoires, vise a l'impression d'ensemble et
au grand effet final. Les genies de ce genre ont quelque chose
d'architectural; ils construisent un monument, une de ces oeuvres
imposantes qui demandent qu'on recule un peu pour en saisir l'ordonnance
et pour les admirer dans leur grandeur.
Ce n'est pas a dire que le detail en soit neglige; on a pu meme dire
que parfois il ne l'est pas assez. Buffon, dans ses mille descriptions
d'animaux si divers, montre des ressources singulierement variees de
pittoresque. Il a la force, tour a tour, et la grace, et l'eclat. Il a
comme une sympathie toujours prete pour ses modestes heros, qui sait
relever leurs merites, faire eclater leurs beautes, bien saisir et
a chacun bien conserver son caractere propre, et donner ainsi a la
physionomie son unite, son air distinctif qu'on n'oublie point.--Sans
doute il est trop orne; il s'applique trop; il est trop l'homme
qui estimait Massillon le premier de nos prosateurs; il fait trop
complaisamment son metier d'ecrivain; et, s'il ecrit bien, ce n'est pas
assez sans s'en apercevoir.--Defaut commun, du reste, a presque tous les
hommes de science quand ils redigent: ils ne croient jamais avoir assez
bien redige; ils veulent toujours trop convaincre leur lecteur et se
convaincre eux-memes qu'eux aussi savent ecrire
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