ains demagogues se revetent
d'une autorite censoriale et distribuent des brevets de civisme, de la
meme maniere que certaines gens dans tous les pays ont dit, disent et
diront que vouloir les soumettre aux lois, c'est attaquer le ciel meme
et etre ennemi de Dieu et de la vertu."
Parfois enfin, mais plus rarement encore, cette puissance un peu diffuse
d'ironie se ramasse en un trait vif et acere et qui part en sifflant. Je
dis que cela est tout a fait rare. En general, Chenier n'a pas le trait,
et du reste, ne le cherche pas. Cependant on n'est pas aussi bien doue
que Chenier, et tout fulminant d'honnete colere, et contemporain de
Chamfort, sans trouver quelquefois une epigramme souple, brillante et
aigue. En voici: "Il est incontestable que, tout pouvoir emanant du
peuple, celui de pendre en emane aussi; mais il est bien affreux que
ce soit le seul qu'il ne veuille pas exercer par representant"--"Je
reconnais la cet _honneur de corps_, l'eternel apanage de ceux qui
trouvent trop difficile d'avoir un honneur qui soit a eux."--Mais
Chenier a trop peu de ces vives saillies pour un journaliste. Il est
convaincu, vigoureux, eleve, eloquent, ecrivain pur, le tout avec un
peu de monotonie. On lira toujours ses oeuvres en prose, parce qu'il a
laisse de beaux vers.
V
L'ECRIVAIN
A s'en tenir simplement aux questions de style, Chenier, si peu
inventeur en tout autre chose, est un veritable createur. Nous ne dirons
plus un mot, bien entendu, ni des "poesies officielles" ni meme des
_Elegies_, ou il est tres rare, quoique cela arrive, de trouver une
expression neuve, originale et jaillie de source. Mais il faut etudier,
et de tres pres, le style des _Idylles_ et des fragments epiques. Il
est d'une nouveaute et d'une fraicheur souvent merveilleuses. Il est la
creation naturelle d'un homme qui a garde dans l'oreille et comme melee
a ses sens la modulation de ces langues anciennes qui etaient des
musiques. Le principal merite de cette langue de Chenier, auquel on
pourrait ramener toutes les autres, c'est en effet la _qualite du son_.
La langue francaise s'assourdissait depuis Racine. Ternie par les
abstractions et les formules, elle etait surtout eteinte par les mots
lourds, sourds et secs. "L'heureux choix de mots harmonieux", et, plutot
encore, la disposition harmonieuse des mots melodieux etait chose
oubliee et desapprise. La langue de Rousseau, remarquez-le, est beaucoup
plus _nombreuse_, et _rythmee_, que melodieuse a
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