conduire brillamment l'histoire du monde depuis
L'Ocean eternel ou bouillonne la vie.
jusqu'a cette conquete du monde par les races civilisees, par le genie
scientifique, que n'emeut pas et n'arrete point
Des derniers Africains le cap noir de tempetes.
VI
LE VERSIFICATEUR
On a beaucoup exagere l'invention rythmique d'Andre Chenier, la reforme,
la revolution rythmique apportee par Andre Chenier dans la versification
francaise. Il etait en cela tres loin du but, je dis de celui-la meme
qu'il cherchait. Il s'essayait; il brisait le rythme uniforme de la
versification de son temps; il ne s'en etait pas encore fait un qui lui
fut personnel. Il n'etait encore qu'un insurge, il n'etait pas encore un
conquerant.
En cela, comme en autre chose, et ce n'etait pas un mauvais chemin,
il remontait a la Pleiade, et retrouvait cette liberte de coupes que
Ronsard et ses amis, un peu indiscretement, avaient pratiquee. Mais
la liberte de coupes n'est nullement par elle seule une invention de
rythmes heureux; elle permet seulement d'en trouver. Que le vers "n'ose
pas enjamber", cela est tres deplorable; mais qu'il ose enjamber,
cela ne suffit pas a le rendre beau; il faut qu'il enjambe en sachant
pourquoi.
Un rythme est l'expression d'une pensee,--ou l'image d'un
sentiment,---ou la peinture soit d'une forme, soit d'un mouvement. Tout
rythme, toute coupe exceptionnelle, ne doit etre risquee que pour donner
la sensation de quelque chose, pensee, sentiment, mouvement ou forme,
qui soit, aussi, extraordinaire, et pour en donner la sensation exacte.
D'une part, donc, hasarder une coupe exceptionnelle sans raison
appreciable au lecteur, n'est pour lui qu'un heurt inutile, et partant
un deplaisir;--d'autre part multiplier les coupes exceptionnelles
inutiles finit par faire perdre de vue toute espece de rythme et par
donner la pure sensation de la prose, comme dans l'_Albertus_ de
Gautier, et la plupart des vers de Baif;--et enfin risquer une coupe
exceptionnelle, a dessein, avec une raison, pour un effet, mais ne pas
atteindre cet effet, parce qu'on n'a pas trouve le rhythme juste qui le
devait produire, c'est un contre-sens rythmique.
Ces trois defauts ne laissent pas d'etre frequents dans Chenier. Il
a deux procedes coutumiers de coupes exceptionnelles, le rejet
monosyllabique et la coupe 9-3 (neuf syllabes sans arret, puis trois).
Ce sont des coupes tres exceptionnelles, tres risquees; il en abuse.
Elles sont dans
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