son oreille, une fois pour toutes; elles ne sont pas
_dans sa sensation actuelle_, au moment meme ou il veut peindre quelque
chose, et s'imposant a lui pour le peindre; et partant elles sont plutot
un procede qu'une inspiration.
Quelquefois, quoique plus rarement, la multiplicite des coupes
exceptionnelles ramene le vers a la prose pure:
La liberte du genie et de l'art
T'ouvre tous ses tresors. Ta grace auguste et fiere
De nature et d'eternite
Fleurit. Tes pas sont grands. Ton front ceint de lumiere
Touche les cieux. Ta flamme agite, eclaire,
Dompte les coeurs La liberte......
C'est presque un jeu d'ecolier qui s'emancipe d'amener ainsi qu'il suit
un rejet ambitieux:
_Strophe XI_.
L'Enfer de la Bastille a tous les vents jete
Vole, debris infame et cendre inanimee;
Et de ces grands tombeaux, la belle Liberte
Altiere, etincelante, armee.
_Srophe XII_.
Sort!--.....
Enfin sa coupe exceptionnelle ne dit pas toujours ce qu'elle veut
dire. Dans l'exemple precedent, ni _vole_, ni _sort_, a les prendre en
eux-memes seulement, ne sont tres heureux. Ce n'est pas un monosyllabe
sec qui exprime bien la fuite et la dispersion dans le vent de la fumee
et de la cendre d'un chateau fort incendie. Il exprimerait mieux une
fleche dardee ou une fusee qui file.--Ce n'est pas un monosyllabe sec
qui exprime l'apotheose de la Liberte se dressant et planant sur les
ruines. Trois syllabes y conviendraient mieux.--De meme dans cette
peinture des elections de 1789:
Tous a leurs envoyes confieront leur pouvoir.
Versailles les attend. On s'empresse d'elire;
_On nomme_. Trois palais s'ouvrent pour recevoir
Les representants de l'Empire.
Cette cheville en rejet est une lourde faute et je m'y arrete point,
de peur d'y trouver du burlesque. Longtemps Chenier n'eut, ni dans ses
alexandrins, ni dans ses vers lyriques, le sentiment de la periode
poetique. Son style en prose est periodique, son style en vers ne l'est
nullement, a l'ordinaire. Comme il etait doue, comme il adorait les
anciens, et comme il faisait des vers latins, il la cherchait, cette
periode en vers, et on le voit s'y essayer souvent. Ses essais furent
longtemps malheureux. Sa strophe du _Jeu de Paume_ est longue, lourde et
penible. Ces dix-neuf vers, dont dix alexandrins, sept octosyllabes et
deux decasyllabes, combines de telle sorte que tantot deux alexandrins
tombent sur un octosyllabe, tantot un alexandrin sur deux octosylla
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