s etrange,
je veux dire rien de plus naturel aux yeux des contemporains, que ce
_Tiers-Etat_ compare a Latone "_deja presque mere_" courant la terre
pour "_mettre au jour les dieux de la lumiere_", et dont la salle du Jeu
de Paume "_fut la Delos_".
L'_Hymne sur les Suisses de Chateauvieux_ a un debut eloquent et
d'une redoutable ironie; mais voila bientot que la mythologie et
les reminiscences classiques viennent tout refroidir et tout gater,
jusque-la qu'il faut que les Suisses de Collot d'Herbois remplacent
dans le ciel la chevelure de Berenice, parce que les poetes chantaient
autrefois la chevelure de Berenice et qu'ils chantent maintenant les
Suisses de Chateauvieux. C'etait le bel air des choses en ce temps-la.
Dans une ode sur le vaisseau _le Vengeur_, le fils de Calliope devait
apparaitre, au sommet glace de Rhodope. Rien de plus glace. Mais c'etait
la poesie elevee, noble, et non "familiere", telle qu'on la comprenait
autour de Chenier. Il prenait Lebrun pour son maitre, et Marie-Joseph
Chenier pour son frere. Mais en verite, quand il se donnait tant de mal
pour ecrire dans le grand gout, il reussissait a se tourner le dos a
lui-meme.
III
CHENIER POETE PHILOSOPHE
Il revait de tres grandes destinees poetiques, et de devenir tout
different de ce qu'il etait, et un tel maitre poete que tout ce que nous
avons de lui n'eut plus passe que pour etudes preliminaires; et ce qu'il
a reve, je ne doute pas qu'il ne l'eut accompli. Cet "antique" etait,
par ses idees, par les penchants les plus imperieux de son esprit, par
une partie au moins, tres considerable, de ses etudes, le plus eveille
et le plus hardi des modernes. Il aimait infiniment les sciences et la
philosophie scientifique, avait une doctrine, mal arretee encore, mais
qui se rapprochait du materialisme, ou plutot du _naturalisme_, adorait
Lucrece, savait Buffon par coeur; et certes nous voila maintenant bien
loin du pur hellene, et en plein courant du XVIIIe siecle.
Il voulait profiter des decouvertes de la science moderne, et ecrire en
vers ce poeme du monde que Buffon venait d'ecrire en prose. C'est bien
ici qu'on voit l'influence puissante que Buffon a exercee sur cette
fin de siecle, et autant sur l'esprit litteraire que sur l'esprit
scientifique de cette epoque. Traduire Buffon en vers a ete l'ambition
de trois poetes distingues de la fin du XVIIIe siecle, de Fontanes,
de Delille et d'Andre Chenier. Chenier le proclame avec une pleine
sincer
|