faut considerer comme la preface de l'_Hermes_,
c'est que Chenier, dans ce manifeste litteraire, ou dans cette poetique,
comme on voudra, conseille, promet et se promet d'etre en art ce qu'il
n'avait nullement ete jusque-la, et ce qu'on ne pouvait guere prevoir
qu'il dut, ou seulement qu'il voulut devenir.
Se faire ou rester un ancien, latin ou grec, creer et entretenir en soi
une ame et un esprit antique, avoir, et facilement et comme spontanement
par l'accoutumance, les sentiments et le tour d'esprit d'un Ionien ou
d'un Sicilien, et non seulement les sentiments, mais les sensations a la
maniere antique, voir les choses avec leur couleur, et surtout avec leur
contour, comme les voyait un ancien du siecle de Pericles ou de l'age
d'Auguste, et entendre, et peut-etre gouter de la meme facon, et trouver
la meme forme aux montagnes, le meme bruit au flot, le meme parfum
aux fleurs et la meme saveur au baiser; instinct personnel, atavisme,
education, ou tour de force de genie artificiel, c'avait ete le propre
caractere tant du peintre de l'_Aveugle_ que de l'amant de "Camille" ou
de "Fanny".
--Et maintenant ce qu'il recommande, c'est d'etre _inventeur_, avant
toute chose, "aux seuls inventeurs la vie etant promise"; c'est de ne
plus "avoir les seuls anciens pour Nord et pour etoile"; c'est de ne
plus "les cotoyer sans cesse"; c'est de ne plus "dire et dire cent
fois ce que nous avons lu"; c'est de ne pas croire "qu'un objet ne sur
l'Helicon a seul de nous charmer pu recevoir le don"; et "qu'on a tout
dit et que tout est pense"; c'est de savoir regarder et comprendre "la
Cybele nouvelle" qui s'est revelee aux hommes; c'est de puiser une
inspiration nouvelle, et qui, suivant les pas de la science humaine,
pourra etre indefinie, dans le tableau deroule devant nous des choses
telles qu'elles sont maintenant, c'est-a-dire telles que les yeux
modernes ont appris a les voir.
Mais les anciens, qu'en faut-il donc faire?--Ils restent nos maitres,
mais les maitres de notre forme, non plus de notre pensee, et non plus
ni de notre coeur ni de notre esprit, mais de notre plume. Pour cet
usage et ce profit gardons-les soigneusement, et avec amour. Qu'ils nous
apprennent a ecrire avec nettete, avec force et avec eclat, et qu'on
croie bien qu'eux seuls, d'ici a longtemps, peuvent nous donner cet
enseignement et cet exemple. Qu'on les pratique donc, non pour les
contrefaire, mais pour faire, aussi bien qu'eux, autre chose.---Et voila
l
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