es, et resserres, et meles l'un a l'autre par les
epreuves.--Mais ce sont surtout des lettres d'homme romanesque,
hasardeux, fievreux, amoureux de situation hors du commun et du normal,
et qui n'a ete si fidele, cette fois, que d'abord, si l'on veut, parce
qu'il etait en prison, ensuite parce qu'il etait excite, et renfonce
dans son sentiment par l'opposition qu'on y faisait, et dans sa volonte
par l'obstacle, et dans son amour par les haines qu'il lui valait, et
exalte et enivre par le froissement rude, sur sa poitrine, des vents
contraires.
Et ses idees generales, comme sa complexion, sont bien d'un homme du
XVIIIe siecle. Irreligieux, il l'est absolument, de tres bonne heure, et
toujours. Ses lettres a Sophie contiennent un manuel d'atheisme formel,
et indiscutable precisement parce que l'atheisme y est tranquille, sans
colere, sans forfanteries, et confidentiel. Mirabeau n'est pas, en cette
affaire, un fanfaron, un fanatique a rebours, un phraseur, un revolte,
ou un imbecile. C'est un homme presque ne dans l'atheisme, qui n'a pas
traverse de crise ni de periode d'angoisses, qui, au contraire, est
incroyant de nature, de penchant propre ou, au moins, de tres longue
habitude. Tout a fait moderne en cela, et arrive a cette etape, a cette
region de l'esprit ou l'intolerance a rebours est aussi depassee, aussi
lointaine que l'intolerance traditionnelle, et ou l'on est separe des
croyants par de trop grands espaces pour pouvoir meme les detester.--Le
mysterieux, le surnaturel, et, sachons bien l'ajouter, tous les grands
problemes metaphysiques, eternelles preoccupations et tourments de l'ame
des hommes, ne repondent a rien dans son esprit. Amene a en parler, il
n'en parle que pour dire qu'il les ignore, et pour montrer qu'il est
incapable de les soupconner, d'en comprendre l'importance, et d'en
sentir l'attrait, et d'en eprouver l'inquietude.
Ce qui n'empeche pas qu'il ait une idole, qui, vous vous y attendiez
fort bien, est la raison. Il semble y croire de toute son ame et de
toute son esperance. Ni Montesquieu, ni Dalembert, ni Condorcet n'y
croient davantage. Tres jeune, a propos de la reforme politique des
Juifs, il ecrivait, tout a fait dans la maniere des grands optimistes de
la fin du XVIIIe siecle, et avec un certain degre de candeur qui aurait
fait sourire Voltaire: "Croyons que si l'on excepte les accidents,
suites inevitables de l'ordre general, il n'y a de mal sur la terre que
parce qu'il y a des erreurs; q
|