s" et passionne.
Pour se rendre compte de tout ce qu'il y a la d'agreablement
factice, mais de factice, il faut, apres une lecture de ces Elegies
franco-romaines, lire notre grand elegiaque Musset, ou Henri Heine;
et je ne dis point Lamartine, parce que je ne veux comparer Chenier
elegiaque qu'a ceux qui, sensuels comme lui, ont bien comme lui ecrit
l'elegie sensuelle, sans la rehausser par un grand sentiment ou un
grand reve, mais en tirant du trouble des sens toute la vraie poesie,
anxieuse, douloureuse, tragiquement fremissante, qu'il peut contenir, et
qu'il contient en effet chez ceux qui l'eprouvent.
Et je ne cherche pas a eviter _la Jeune Captive_. Je reconnais qu'elle
est charmante. Un procede tres heureux, que Chenier a employe plusieurs
fois[104], est ici d'un effet excellent: faire parler le heros principal
du poeme avant de l'avoir presente ou annonce au lecteur. Ailleurs ce
n'est qu'un procede, ici il y a un grand air de verite, et la scene se
fait toute seule en l'esprit du lecteur. Nous sommes dans une prison;
d'un coin sombre une voix s'eleve, murmurante, qui peu a peu se fait
plus distincte; un prisonnier ecoute, se rapproche, entend, finit par
voir la prisonniere, et pleure avec elle.
[Note 104: _Jeune malade_.--_Jeune Locrienne_.]
Et des traits exquis que je n'ai pas, parce qu'ils sont dans toutes les
memoires, la sotte pudeur de ne pas repeter: _"Je ne veux point mourir
encore!--Je plie et releve ma tete.--L'Illusion feconde habite dans mon
sein.--J'ai les ailes de l'esperance.--Ma bienvenue au jour me rit
dans tous les yeux"_; et merveilleusement opposes l'un a l'autre en
demi-chute et en chute de strophe: "_Je veux achever mon annee... Je
veux achever ma journee._"
Mais _la Jeune Captive_ n'est cependant pas denuee de toute rhetorique,
cette serie d'images trop voisines les unes des autres (l'epi, le
pampre, le printemps, la moisson, la rose a peine ouverte) est un
developpement, et un developpement qui allait devenir un peu languissant
au moment qu'il s'arrete. Il s'arrete; mais on a eu le temps d'etre
inquiet. Chenier avait deja compose ainsi dans sa piece _A mademoiselle
de Coigny_: "Blanche et douce colombe..."--"Blanche et douce brebis..."
Rien de plus dangereux que cette methode, parce que rien n'est plus
facile. Le lecteur tourne la page, dans la crainte, ou le malicieux
desir, de voir s'il ne viendra pas un: "Blanche et douce gazelle..." Le
trait final lui-meme de _la Jeune_ _Capti
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