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et de son esprit de sophiste, il avait une singuliere nettete
d'intelligence et une vigueur peu ordinaire d'esprit pratique. Celui-ci,
quoique romanesque, et encore que generalisateur, aimait les faits et
prenait plaisir en leur commerce. Il ecrivait (non point tout seul, mais
du moins en grande partie, et digerant et classant le tout) sept
gros volumes sur la constitution, les organes et les fonctions de la
monarchie prussienne; il s'inquietait de la constitution et de la
legislation anglaises, et personne, ce me semble, ne les a mieux
connues que lui. Dans sa premiere jeunesse, a cote d'un _Essai sur le
despotisme_, et d'une etude, essentiellement autobiographique, sur
les _Lettres de cachet_, il ecrit un _Memoire sur les salines de
la Franche-Comte_, des traites sur la _Liberte de l'Escaut_, sur
_l'Agiotage_, sur la _Caisse d'escompte_, sur la _Banque Saint-Charles_,
sur la _Question des eaux_, sur l'administration financiere de Necker;
et dans tous ces petits livres, ecrits vite, penses longuement, on
trouve une solidite d'informations et une surete de raisonnement topique
peu commune, et Calonne, Necker et Beaumarchais ont senti,
longtemps avant Maury et Cazales, la rude etreinte de ce vigoureux
dialecticien.--Au donjon de Vincennes, il etudie avec acharnement,
entasse les notes, brule ses yeux dans les papiers, et ses "prisons", si
elles sont, d'un cote, les Lettres a Sophie, sont, de l'autre, un cours
complet de sciences politiques,--comme toute sa vie, du reste, a ete
d'un Casanova qui aurait trouve le temps d'etre un Machiavel.
Il ne faut pas s'y tromper, comme on l'a fait quelquefois, et croire que
Mirabeau a ete improvise par la Revolution. C'est lui qui etait capable
de l'improviser, parce qu'il la portait depuis vingt ans dans sa tete,
et depuis vingt ans la "preparait" par les plus solides etudes et les
plus diverses; et s'il s'est trouve en 1789 le plus grand des orateurs
de la Constituante, c'est, avant tout, parce qu'il en etait, sans
conteste, le plus savant.
Aussi remarquez bien que, de tres bonne heure, il se separe des chefs du
choeur du XVIIIe siecle, quand ceux-ci, decidement, donnent dans le
pur chimerique et le reve absolument romanesque. Son appreciation de
Jean-Jacques Rousseau dans les Lettres du donjon de Vincennes, a propos
de la publication du _Gouvernement de Pologne_, est tres curieuse et
doit etre lue de tres pres. Un eloge, vif sans doute, du grand homme.
Pour Mira
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