aute raison et une spacieuse et facile intelligence.
Une certaine impression, que je suis un peu embarrasse a definir, ne
laisse pas d'etre facheuse. Il y a une certaine secheresse d'ame dans
tout cela. Sous la magnifique ampleur et le beau developpement de
la forme, on sent de purs raisonnements, tres froids, une sorte de
mecanique intellectuelle, roide et subtile, et toujours glacee. Jamais,
presque, on ne sent le coeur de l'ecrivain ou de l'orateur echauffe par
un grand sentiment dont l'emotion contagieuse se communique a nous. Ni
son royalisme n'est du devouement, ni son democratisme n'est amour,
sympathie ou pitie. L'emotion patriotique elle-meme est rare et faible.
Certes ce grand tribun n'a rien d'un apotre. Otez l'eclat oratoire, et
cette chaleur, intellectuelle pour ainsi dire, que Buffon a tres bien
definie et qui vient du plaisir que donne le travail facile et abondant
de la pensee, vous etes en face d'un Sieyes, plus souple, il est vrai,
plus ingenieux et plus savant. Mirabeau, quand il n'est pas amoureux,
est un pur esprit. Si peu aristocrate par son systeme, il l'est bien,
quoi qu'il en ait et dans le sens defavorable du mot, par une certaine
froideur hautaine, un manque d'expansion, un manque de cordialite. Il
n'est eleve de Rousseau que pour le style. Pour le reste il est bien du
XVIIIe siecle d'en deca de Rousseau, du siecle purement intellectuel et
presque exclusivement cerebral. Au fond ce n'etait ni un grand patriote,
ni un de ces grands hommes de parti ou de secte qui mettent de
la religion dans leurs idees; c'etait un grand ambitieux tres
intelligent.--Haute raison, du reste, grand bon sens, grand savoir
et forte logique, ce qui suffit a faire un des plus grands hommes
politiques que l'histoire ait montres.
III
L'ORATEUR
Il est inutile de repeter que Mirabeau est un tres grand orateur. Il
l'etait de nature et comme de temperament. Sa phrase, meme familiere
et confidentielle, est ample, equilibree et nombreuse. Il a le style
periodique en ecrivant au lieutenant de police ou a Sophie; il l'a en
traitant la question des eaux, comme en ecrivant a Frederic-Guillaume ou
aux Bataves. Il y a meme un ton et une allure plus declamatoires dans
ce qu'il a ecrit que dans ce qu'il a dit a la tribune. Nisard remarque
qu'il "est ecrivain comme on est orateur", et que l'ecrivain chez lui
"est l'orateur empeche, comprime, qui se soulage" par les ecritures.
Cela est juste a la condition qu'on ajoute qu'il
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