la rencontre, ne connait pas ou ne saurait atteindre la
grande poesie philosophique et religieuse, les hauts et purs sommets
de l'imagination humaine; et Chenier pouvait entrer en commerce avec
Aristophane. Ce n'etait pas le sol attique qui lui etait interdit; mais
c'etait du moins le cap Sunium.
Tel il a ete, extremement original en son temps, sinon par sa faculte
creatrice, du moins par son gout, par son tour d'esprit, par la
direction de ses recherches et par le choix de son imitation. Imitateur,
soit, mais qui imitait ce dont personne, sauf les voyageurs et les
savants, ne se souciait.
Et maintenant, comme personne n'est un, et comme personne n'est vraiment
original, un autre Chenier nous attire, qui, lui, fut tout a fait de son
temps, et peut-etre trop.
II
CHENIER FRANCAIS DU XVIIIe SIECLE
Chenier est ne a Constantinople, mais il a ete eleve en France et a
passe sa jeunesse a Paris de 1780 a 1791; sa mere est nee grecque, mais
c'est une Parisienne qui preside un salon litteraire ou trone Lebrun.
C'est beaucoup que Chenier, mort si jeune, ait entrevu et meme embrasse
un autre horizon que celui de l'_Almanach des muses_; mais qu'il eut
echappe a l'influence de ce qu'on appelait en 1780 la poesie francaise,
ce serait chose prodigieuse, et a la verite il n'y a pas echappe.--Un
homme ecrit trois pages dans sa matinee, l'une pour lui, impression,
sensation, reflexion ou souvenir; l'autre, billet a une belle dame chez
laquelle il a dine la veille et qui se connait en beau style; l'autre,
lettre a un ministre ou conseiller d'Etat. Ces trois pages ne se
ressemblent aucunement: l'une a ete ecrite par l'homme, l'autre par
l'homme du monde, et la troisieme par l'homme officiel. Il y a dans
Chenier de la poesie, de la poesie mondaine, et de la poesie officielle.
De ces deux dernieres la premiere est bien melee, souvent bien mauvaise,
et la seconde, frequemment, ne laisse pas d'etre a faire fremir.
C'est le gout du temps qui agit, et qu'il inspire parce qu'il faut le
satisfaire. La poesie mondaine, la poesie elegante de ce temps est
spirituelle, un peu fade et extremement tourmentee. C'est une rhetorique
laborieuse et perilleuse ou l'on procede par trouvailles rares et
rencontres extraordinaires d'expressions imprevues ou de syntaxes
surprenantes. "Il est beau, quand le sort nous plonge dans l'abime, de
paraitre le conquerir": voila du Lebrun. "Conquerir un abime": voila une
expression trouvee, et que ne trouver
|