execres de la foule.--Cette destinee, qu'il
a cru saisir, lui a manque, et je ne dis point parce qu'il est mort
prematurement, car il allait sombrer comme homme politique au moment ou
il a succombe a la maladie, mais parce que la revolution ne pouvait ni
etre contenue par qui que ce fut, ni supporter un grand esprit pondere
et un politique de grandes vues.--Personne, malgre les apparences, n'a
plus manque son moment que Mirabeau. Il meritait de gouverner la France,
et la France presque jusqu'a sa fin n'a pas su precisement si elle
devait le prendre tout a fait au serieux; il meritait de parler a
l'Europe au nom de la France, et l'Europe ne l'a vu que comme diplomate
secret de quatrieme ordre et d'air interlope a Berlin, et comme ecrivain
a la journee ou a la lache chez les libraires de Hollande. Un roi absolu
l'aurait tres probablement decouvert, choisi et garde, comme un Colbert
ou un Louvois, ou accepte, subi et garde, comme un Richelieu; sous un
roi constitutionnel, il serait certainement parvenu tres vite au premier
rang par les elections et les assemblees. Il est arrive juste au moment
ou il ne pouvait jouer qu'un role horriblement difficile, et mal compris
et suspect, quoique eclatant, et ou il ne lui aurait servi a rien de
vivre davantage.--La gloire litteraire n'est pas une compensation
suffisante pour de tels hommes; elle peut leur etre une consolation.
Cette consolation, Mirabeau mourant a pu pleinement en gouter la saveur
flatteuse, decevante encore pour un ambitieux de sa taille, et un peu
amere.
ANDRE CHENIER
I
L'HELLENE
Aux premiers abords, et a un premier point de vue (qui peut-etre est le
vrai, et ou nous finirons peut-etre par nous arreter), Andre Chenier
apparait dans le XVIIIe siecle comme un isole. Il constitue comme un
_cas_ extraordinaire, et qui etonne. C'est un poete dans un siecle de
prose, un "ancien" dans un siecle ou les anciens ont cesse d'inspirer
la litterature, un "grec" dans un temps ou l'on est aussi eloigne que
possible de ces sources antiques de l'art europeen.
Est-ce un precurseur? Est-ce un retardataire? A coup sur c'est un
fourvoye dans son siecle. On dirait un homme de la Pleiade ne en retard.
Autour de lui on goute les anciens, sans doute, mais avec ce sentiment
du progres et cette certitude de superiorite qui fait de l'approbation
une maniere d'acquiescement et de la complaisance une forme de mepris
intelligent. On les goute en les corrigeant, et en montrant
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