abeau voulait la liberte individuelle la plus large possible,
allant jusqu'au droit d'emigration, et quand il a plaide a l'Assemblee
nationale le droit des emigres a propos du depart des tantes du roi, il
put lire un fragment de sa _Lettre a Frederic-Guillaume II_, ecrite dix
ans auparavant, pour montrer combien ses idees sur ce point etaient peu
une opinion de circonstance.
Il voulait la liberte de la pensee, et cela avec une rare largeur
d'idees et meme de sentiment, avec une sorte de generosite et de
serenite, qui est tres pres d'etre de la charite: "Trois chemins doivent
nous conduire a la plus inalterable indulgence: la conscience de nos
propres faiblesses; la prudence qui craint d'etre injuste, et l'envie de
bien faire, qui, ne pouvant refondre ni les hommes ni les choses, doit
chercher a tirer parti de tout ce qui est, comme il est. Je me crois
oblige de porter desormais cette extreme tolerance sur toutes les
opinions philosophiques et religieuses. _Il faut reprimer les mauvaises
actions, mais souffrir les mauvaises pensees_, et surtout les mauvais
raisonnements. Le devot et l'athee, l'economiste et le reglementaire
aussi entrent dans la composition et la direction du monde, et doivent
servir aux tetes douees de la bonne ambition d'aider au bien-etre du
genre humain... En verite, dans un certain sens tout m'est bon: les
evenements, les hommes, les choses, les opinions, tout a une anse,
une prise. Je deviens trop vieux pour user le reste de ma force a des
guerres; je veux la mettre a aider ceux qui aident: quant a ceux qui n'y
songent que faiblement, je veux m'en servir aussi, en leur persuadant
qu'ils sont tres utiles[101]."
[Note 101: _Lettres a Mauvillon._]
Il voulait la simplification de l'administration centrale, et la
decentralisation, et la vie rendue aux racines de la nation par les
_assemblees provinciales_[102]. Il avait un systeme d'ensemble tout
pret, tres medite et tres muri, dont l'esprit general etait liberte,
force et aisance d'initiative rendue a l'individu, a la commune et a la
province.
[Note 102: _Denonciation de l'agiotage_.]
C'est avec ces idees qu'il arriva dans une assemblee honnete, bien
intentionnee et devouee au pays, genereuse meme et heroique, mais peu
instruite, mediocrement intelligente, comprenant peu la liberte, comme
toute assemblee francaise, et dont, sinon l'idee unique, du moins
l'idee fixe, fut non pas d'assurer la liberte, mais de deplacer le
gouvernement.
Parti
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