la laisse-t-il unique?
Il craint "l'immaturite et la precipitation": pourquoi ne songe-t-il
pas aux freins? Il songe a des limites: pourquoi est-ce aux forces
elles-memes qu'il s'agit de limiter qu'il demande de se les imposer?
Pourquoi est-ce au roi qu'il dit: "restreignez vous", et a l'Assemblee
qu'il dit: "limitez-vous"; et quel succes espere-t-il?
Pourquoi? Il faut bien le savoir, et bien s'expliquer, dirai-je le point
faible, du moins le point tres susceptible et tres sensible de Mirabeau.
Mirabeau a horreur du despotisme; mais il a surtout horreur de
l'aristocratie, et tout ce qui ressemble a l'aristocratie lui fait peur.
Il a lu Rousseau, et surtout il a ete a Vincennes sur lettre de cachet
obtenue par son pere, et, encore, il a ete exclu de l'assemblee de la
noblesse de Provence par les hommes de sa caste; et il est l'ennemi
irreconciliable de toute aristocratie, de toute oligarchie, comme il
aime a dire. Tres fier personnellement de ses quatre cents ans de
noblesse prouvee, et ne detestant pas dire: "L'amiral de Coligny, qui
par parenthese etait mon cousin...", il a une defiance excessive a
l'endroit de tout gouvernement si peu que ce soit aristocratique. Il ne
peut aimer ni les Parlements, ni le clerge independant, ni les Chambres
hautes; tout cela a une odeur tres suspecte d'aristocratie.--Remarquez
bien que s'il craint tant l'Assemblee unique souveraine, c'est comme
liberal, soit, mais c'est aussi comme antiaristocrate, et c'est plus
encore comme antiaristocrate que comme liberal. Revenons sur ses
paroles: "... La nation doit etre jalouse de moderer, d'assujettir a des
formes severes le Corps legislatif, et de premunir sa propre liberte
contre les atteintes et la degeneration d'un tel pouvoir: _car, il ne
faut pas l'oublier, l'Assemblee nationale n'est pas la nation, et
toute assemblee particuliere porte avec elle des germes
d'aristocratie_"[103].--L'Assemblee gouvernant c'est pour lui, et non
sans raison, un Senat de Venise ou de Rome, et voila pourquoi il veut
qu'a cote d'elle et au-dessus, le roi gouverne aussi, ou plutot qu'elle
legifere, et qu'il gouverne.
[Note 103: Trois mois auparavant il disait deja: "Rien de plus
terrible que l'aristocratie souveraine de six cents personnes qui
demain pourraient se rendre inamovibles, apres-demain hereditaires, et
finiraient, comme toutes les aristocraties, par tout envahir."]
"Au fond, dit Proudhon quelque part, et precisement a propos de
Mirabeau, "_le roi
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