lit. Ce
qu'il faut, c'est des forces sociales multiples se limitant et se
contrebalancant par l'union, selon les circonstances, de deux contre une
ou de trois contre deux. Ce qu'il fallait, par exemple, en 1789, c'etait
que, selon les cas, le roi put s'appuyer, ou l'Assemblee, sur quelque
chose.
Mirabeau a vu cela encore, il est vrai, et de toute sa correspondance
secrete avec la cour ressort presque uniquement cette idee: "creer dans
la nation une opinion puissante et tres precise, a la fois royaliste et
liberale, qui ne permette ni a l'Assemblee de devorer le roi, ni au roi
d'annihiler l'Assemblee." Voila la troisieme force sociale que Mirabeau
avait revee pour completer l'equilibre. Mais une force d'opinion est
trop mobile, ployable, changeante et comme fugitive, pour etre ou un
rempart ou un soutien, et au prix d'enormes efforts, on n'eut pas change
sensiblement la situation. C'etaient des corps constitues qu'il fallait
avoir, chacun avec son autonomie relative et sa part de force, pour
qu'il y eut dans la France politique de veritables points de resistance
ou d'action.--Par exemple, la vraie separation des pouvoirs eut existe,
et, comme consequence dans les faits, jamais le roi n'aurait pu etre ni
emprisonne ni mis a mort, si une constitution judiciaire vigoureuse eut
ete etablie, et si c'eut ete une loi constitutionnelle que jamais le roi
ne put etre juge que par des juges.--Par exemple encore, etant donne
qu'il existait un clerge et une noblesse constitues a l'etat de corps
sociaux encore tres puissants, qu'on appauvrisse l'un, et qu'on
demunisse l'autre de privileges abusifs pour le bien de l'Etat, cela est
legitime; mais qu'on noie l'une dans la masse des citoyens et l'autre
dans la foule des fonctionnaires, cela n'est point tres politique.
Au simple point de vue de l'equilibre, et sans aller plus loin, et
simplement _pour qu'il n'y eut pas quelqu'un de trop fort_, il etait
habile de constituer, ou plutot de maintenir, noblesse et clerge en
corps de l'Etat dans une chambre haute, qui put limiter ou enrayer la
chambre populaire.
Ces idees sont naturelles, et a un eleve de Montesquieu, tres
familieres. Pourquoi Mirabeau ne les a-t-il point dans l'esprit?
Pourquoi oublie-t-il ces "corps intermediaires", comme dit Montesquieu,
qui sont la sauvegarde de la securite et de la liberte d'un peuple,
parce qu'ils empechent qui que ce soit d'etre trop grand? Il craint que
l'Assemblee unique ne soit trop forte: pourquoi
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