ant en pleine lumiere de popularite et de gloire, tribun
redoutable, agitateur de foules; puis arbitre et comme prince de la
revolution, roi de l'opinion, traitant de puissance a puissance d'un
cote avec le roi et de l'autre avec le peuple; il a eu une courte
existence qu'on s'etonne qui ait pu etre si longue, tant elle est
surchargee, agitee, brisee, secouee de tempetes, et retentissante d'un
continuel redoublement d'orages.
Et cette existence, qu'en partie il faisait lui-meme, qu'en partie il
acceptait des circonstances, etait excellemment de son gout. Il etait
romanesque comme Saint-Preux et, je crois, beaucoup davantage. Ses
lettres du donjon de Vincennes sont d'un Rousseau qui adore Tibulle,
pleines de sensualite, de vraie passion, aussi d'eloquence, et de cette
melancolie male des ames robustes pour qui le malheur est une forte et
non point tres desagreable nourriture. On sent qu'il jouit, tout en
hurlant parfois de colere, de l'extraordinaire, du cruel et de l'extreme
de sa situation, et que les rigueurs le fouettent comme la pluie ou la
neige un chasseur aventureux et allegre.
Elles sont elles-memes un roman, ces lettres de Vincennes, et, soit dit
en passant, un roman qui se trouve par hasard etre bien compose. Ce sont
d'abord des lettres de jeune homme, ardent, sensuel et declamateur, qui
est meridional, qui est du sang des Mirabeau, et qui a lu la _Nouvelle
Heloise_;--ce sont ensuite des lettres de jeune pere, ravi de l'etre,
plein de sollicitude emue et d'anxiete charmante, opposant de tout son
coeur les recettes philosophiques aux "recettes de bonne femme" pour le
plus grand bien de cette petite _Sophie-Gabrielle_, qu'il n'a jamais vue
et qu'il adore d'autant plus; et ce roman vrai de pere emprisonne, et
ces caresses hasardeuses confiees au papier, et ces baisers paternels
jetes a travers les grilles, tout cela a quelque chose de bizarre, de
fou, et d'attendrissant, et de naif, et de delicieusement suranne comme
une vieille romance; et tout cela est penetrant, parce qu'encore c'est
cependant vrai, contre toute apparence, et je ne sais rien de plus
captivant ni de plus cruellement doux;--et ce sont enfin, l'enfant
mort, le tumulte des sens apaise par le temps, des lettres tendrement
amicales, confiantes et apaisees, avec des longueries et des traineries
de bavardage, et des anecdotes gaies, et des epanchements familiers,
sans plus rien ni de lyrique ni d'oratoire, causeries prolongees de
vieux amis, eprouv
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