mepriser, et non seulement ceux a qui il
s'adresse specialement, mais tout le monde peut et doit y trouver
profit. Il suffit d'indiquer le domaine ou elles sont bien a leur place,
et celui, aussi, qui reste en dehors de leur portee.
V
Ce grand savant, ce philosophe distingue, ce grand poete et ce grand
sage mourut en 1788. Il n'a pas vu la Revolution francaise. Ce lui fut
une chance heureuse; car il en aurait ete un peu incommode, et n'y
aurait rien compris. Les agitations des hommes, leurs coleres, leurs
passions, leurs efforts genereux meme en vue d'un but prochain, sont
choses qu'habitue a la marche insensible et sure de la nature, il ne
comprenait point et trouvait singulierement meprisables. Son dedain
pour "l'histoire civile" est extreme, excessif meme pour un homme qui,
surtout naturaliste, n'a pas laisse d'etre un moraliste d'un grand
merite. Tout dans l'histoire civile lui parait obscurites, et, du reste,
simples miseres: "La tradition ne nous a transmis que les gestes de
quelques nations, c'est-a-dire les actes d'une tres petite partie du
genre humain; tout le reste des hommes est demeure nul pour nous, nul
pour la posterite; ils ne sont sortis de leur neant que pour passer
comme des ombres qui ne laissent point de traces; et _plut au ciel_ que
le nom de tous ces pretendus heros dont on a celebre les crimes ou
la gloire sanguinaire fut egalement enseveli dans l'ombre de
l'oubli!"--Cette petite portion de "l'histoire civile" qui s'etend de
1789 a 1799 lui eut paru aussi insignifiante qu'une autre dans la marche
de la nature, et meme dans celle de l'humanite, et, seulement, plus
desagreable a traverser. La providence qui veillait sur lui a donc
comble une vie longue qui fut presque toujours heureuse par une mort
opportune. Il n'avait pas fini son ouvrage. Il n'a du regretter que
cela.
Il avait fait un tres beau livre, et accompli une tres grande oeuvre.
Il avait presque cree l'histoire naturelle, et du meme coup il l'avait
affranchie. Elle existait, confondue avec la "physique", chez ces
timides et modestes savants de la fin du XVIIe siecle et du commencement
du XVIIIe, dont nous avons fait connaissance avec Fontenelle. Elle etait
alors tres serieuse, volontairement tres reservee en ses conclusions
et tres discrete. Avec Fontenelle lui-meme, et avec ses successeurs
"philosophes", Bonnet, Robinet, De Maillet, Maupertuis, Diderot, elle
etait devenue tres pretentieuse, tres audacieuse, et s'etait mise au
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