rattache le sentiment et la couleur au plan bien fait comme a leur
cause: "Lorsque l'ecrivain se sera fait un plan... il sera presse de
faire eclore sa pensee; il aura du plaisir a ecrire... _la chaleur
naitra de ce plaisir_... et donnera _la vie_ a chaque expression... les
objets prendront de la _couleur_ et, le _sentiment_ se joignant a la
lumiere..." Ainsi chaleur, vie, couleur et sentiment, tout cela vient du
plaisir qu'on a a ecrire quand on s'est fait un bon plan. Cette theorie
n'est point fausse; car il y a une certaine verve et chaleur de
composition qui nait en effet du plaisir de bien embrasser sa matiere et
d'en bien voir comme etalees devant nos yeux toutes les parties dans un
bel ordre. Mais on comprend bien qu'il y a une autre espece de chaleur
et de sentiment et qu'il n'est plan bien fait qui puisse inspirer a
Demosthene le serment sur les morts de Marathon et a Racine le "_qui te
l'a dit_?" d'Hermione.
Buffon ignore-t-il cela? Non; mais il n'aime pas a s'en occuper. Il
n'aime pas les poetes et les orateurs passionnes; son orateur prefere
est Massillon; il n'aime pas la passion. Tout le _Discours sur le style_
le montre. C'est la que l'on trouve qu'il faut "_se defier du premier
mouvement_"; eviter "_l'enthousiasme trop fort_", et mettre partout
"_plus de raison que de chaleur_". Voila le fond de la pensee de Buffon.
Plus de raison que de chaleur, ou une chaleur qui resulte du plan bien
fait, c'est-a-dire qui vient encore de la raison, voila sa theorie. Elle
est etroite. Elle ne tient pas compte de la litterature de sentiment, ni
de la litterature d'imagination. Elle est quelque chose comme du Boileau
pousse a l'exces; car Boileau sait ce que c'est qu'imagination, passion
et tendresse, et il veut seulement que la raison les guide, non qu'elle
les remplace.
On peut meme ajouter que cette doctrine implique quelque contradiction.
Buffon ne cesse de recommander le "naturel", et il n'a pas tort. Mais en
quoi consiste le naturel, sinon en ce premier mouvement dont Buffon veut
qu'on se defie? C'est ce premier mouvement qui est le cri du coeur,
l'eveil de la sensibilite, l'elan de la nature, et en un mot le naturel.
C'est lui qu'il faut surprendre en soi, saisir au moment ou il nait,
le controler sans doute, et voir s'il n'est pas un simple ecart
de fantaisie ou d'humeur, mais en ne commencant point par "s'en
defier".--De meme Buffon recommande le naturel et prescrit de designer
toujours les choses "par les t
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