nt le faux; que tout progres
par explosion est le tremblement de terre de Lisbonne.
Il n'y a pas deux facons plus differentes de comprendre la meme chose,
ou plutot ce sont deux idees absolument contraires qui ont le meme nom,
et dont l'une est une idee scientifique, et l'autre une niaiserie.
Elles conduisent aux procedes de pensees les plus contraires. A qui le
pousserait sur ce point Buffon dirait: "Si je m'apercois du progres que
je realise, c'est qu'il n'existe pas. Je suis, moi, le resultat d'un
progres dont l'origine remonte a des temps tres anciens; je contribue a
un progres qui se realisera chez nos arriere-neveux. Je mesure celui qui
est consomme, un lointain avenir jugera celui dont je suis l'ouvrier
incertain. Je ne sais qu'une chose, c'est que l'homme a progresse en
observant, en sachant, en inventant, en travaillant. J'observe, je sais,
j'invente et je travaille. De tout cela sortira un jour quelque chose.
Mais je ne poursuis pas un grand but prochain. Tout homme qui poursuit
un grand but prochain, ne l'atteint jamais. Un Cromwell, un Alexandre
(s'il n'est pas un simple ambitieux egoiste, et dans ce cas son travail
est un divertissement et non pas une oeuvre) est une coquille qui, a
elle toute seule, veut faire une montagne."
L'homme est capable de progres, voila un des deux caracteres
particulierement significatifs qui le separe nettement du regne animal,
l'homme est capable de genie individuel, voila le second, auquel
Buffon ne tient pas moins. Les animaux n'ont pas, a proprement parler,
d'intelligence personnelle; ils n'ont pas plus d'esprit, dans une
meme espece, les uns que les autres; il y a chez eux comme une ame de
l'espece, non point des ames individuelles. Ce n'est point une abeille
qui a invente la ruche, c'est _l'abeille_ qui la construit, depuis que
_l'abeille_ existe. "On ne voit pas parmi les animaux quelques-uns
prendre l'empire sur les autres et les obliger a leur chercher la
nourriture, a les veiller, a les garder, a les soulager lorsqu'ils sont
malades ou blesses. Il n'y a, parmi tous les animaux, aucune marque
de cette subordination, aucune apparence que quelqu'un d'entre
eux connaisse de suite la superiorite de sa nature sur celle des
autres."--L'extraordinaire superiorite de l'homme est qu'il est
constitue aristocratiquement par la nature. Inventeur et chercheur, il
ne l'est que par quelques individus de l'espece; imitateur et educable,
il l'est par tous les individus de l'espece. I
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