les lui-meme, qu'il se contente de la
science pour la science, et que dans son objet il n'a d'autre but
que son objet. Il participe du calme inalterable de son modele;
l'inscription fameuse: "_Majestati naturae par ingenium_", est plus
juste encore qu'elle n'a cru l'etre, et les _Templa serena_ de Lucrece,
c'est Buffon qui les a habites.
III
LE MORALISTE
Aussi, sans avoir recherche la gloire du moraliste, ni y avoir songe, il
a une science morale tres elevee, et singulierement plus pure que celle
des hommes de son temps. Il n'avait pas de convictions religieuses,
et l'on a remarque avec raison (malgre certaines formules qui sont de
convenance, et dont la rarete et le ton froid montrent qu'elles ne sont
en effet que choses de bonne compagnie) que Dieu est absent de son
oeuvre. Il n'en est pas moins un spiritualiste tres ferme et meme assez
obstine, et assez ardent. Ce n'est point du tout a sa digression sur
l'immortalite de l'ame humaine que je songe en ce moment. On peut la
tenir elle aussi pour mesure de precaution, et, comme Dalembert disait,
pour "style de notaire". Mais l'esprit general de ce livre sur les
evolutions de la matiere et de la force est spiritualiste, en ce sens
qu'il est _humain_, que l'homme y tient une haute place, un haut rang,
n'est nullement ravale, rabaisse, noye et englouti dans l'ocean bourbeux
et lourd de la matiere, nullement confondu avec elle, nullement tenu
pour n'en etre qu'une modification tres ordinaire et un aspect comme un
autre.
Tout au contraire, Buffon estime et venere l'homme. Il le tient pour
incomparable a tout le reste de la nature. Comme un autre, dont il est
loin d'avoir les idees, volontiers il dirait: "il ne faut pas permettre
a l'homme de se mepriser tout entier". Il est trop bon naturaliste,
evidemment, pour ne pas ranger l'homme dans la classe des animaux; mais
il voit et met des distances presque inconcevables entre le premier des
animaux et l'homme. Il n'a pas dit formellement; mais il a vraiment cent
fois fait entendre ce qu'on a dit depuis lui et d'apres lui: "le regne
mineral, le regne vegetal, le regne animal, _le regne humain_". Or c'est
ou l'on connait et distingue, avant tout, un esprit spiritualiste; c'en
est la marque. Il y a deux tendances generales, dont l'une est d'aimer a
confondre l'homme avec la nature, a lui montrer qu'il ne s'en distingue
point, qu'il est gouverne par les memes forces, et n'a point de loi
propre, et a lui conseiller plus o
|