habiles, tantot moins adroites de sa strategie
pieuse, nous donnat tout un tableau riche et varie des agitations de
son coeur.--Seulement, cela, c'eut ete du Racine. Voltaire ne peut
qu'indiquer d'un mot ce dont Racine fait tout un acte. Ce vers de tout
a l'heure, c'est une note de critique intelligent au bas d'une page de
Racine.
_Irene_ c'est le _Cid_; mais, comme dans _Merope_, Voltaire n'aborde la
veritable tragedie qu'au troisieme acte. Figurez-vous un _Cid_ qui, au
lieu d'un acte de prologue, en aurait deux et demi. Les deux amants
separes par un crime ne sont separes par ce crime qu'a la fin du
troisieme acte. Et ces deux amants, Corneille, naivement, les fait se
parier sans cesse, sachant que le drame est dans ce qu'ils pourront se
dire, et se taire; Voltaire, prudemment, les empeche le plus possible
de se parler. Le spectateur ne demande qu'a les voir l'un en face de
l'autre, et il ne les voit jamais que separement.
L'impuissance psychologique eclate, en ce theatre, dans la composition
et la contexture de tous les ouvrages. Les plus brillants, comme
_Tancrede,_ sont fondes, non sur l'analyse des sentiments de l'ame
humaine, mais sur une meprise initiale que tous les personnages font des
efforts inouis pour prolonger. Les heros de Voltaire sont des hommes
charges par lui de ne se point connaitre contre toute apparence, et de
retarder de toutes leurs forces pendant quatre ou cinq actes le moment
de la reconnaissance. Ils y mettent un zele admirable.--Ces tragedies
sont tellement des melodrames qu'elles commencent deja a etre des
vaudevilles. On sait qu'entre le melodrame moderne et le vaudeville, il
n'y a aucune difference de fond. L'un ont fonde sur une ou plusieurs
meprises, l'autre sur un ou plusieurs quiproquos. Et la meprise n'est
qu'un quiproquo triste et le quiproquo qu'une meprise gaie, et les
personnages du melodrame doivent se preter complaisamment a la meprise,
et les personnages du vaudeville s'ajuster de leur mieux au quiproquo.
Les tragedies de Voltaire ont deja tres nettement ce caractere. Combien
le chemin est etroit en meme temps que sinueux, que doit suivre
docilement Merope, sans faire un pas a droite ou a gauche, pour en
arriver a lever le poignard sur la tete de son fils avec un reste de
vraisemblance; on ne l'imagine pas si l'on n'a point le texte sous les
yeux. C'est ce que les auteurs de petits theatres appellent "filer le
quiproquo." Il y avait deja quelque chose de cela dans _don Sanc
|