re. A un Fromentin qui ecrit au XIXe siecle
pour un public plus familier deja aux choses de peinture, un peu plus
d'interpretation technique, quelques lecons de langue poussees un peu
plus loin sont deja permises. A Diderot une traduction brillante du
sentiment general du tableau suffit le plus souvent, et doit suffire; et
nos critiques modernes les plus savants sont bien forces, a l'ordinaire,
de se tenir eux-memes a peu pres dans ces limites.--Un critique d'art
sera toujours surtout un homme qui a assez de talent, en decrivant
un tableau, pour donner au public le desir de l'aller voir; et si la
critique d'art, qui consiste surtout en cela, ne consistait strictement
qu'en cela, Diderot serait certainement le grand maitre inconteste de
la critique d'art. Il en reste, en tous cas, le brillant, seduisant et
eloquent initiateur.
V
L'ECRIVAIN.
Diderot est grand ecrivain par rencontre et comme par boutade, et il
trouve une belle page comme il trouve une grande idee, avec je ne sais
quelle complicite du hasard. C'est un homme d'humeur, et par consequent
un ecrivain inegal. "Un homme inegal n'est pas un homme, dit La Bruyere;
ce sont plusieurs." Et il y a plusieurs ecrivains dans Diderot.--Il y
a l'ecrivain lucide, froid et lourd qui ecrit les articles de
l'Encyclopedie.--Il y a l'ecrivain dur et obscur qui expose une theorie
philosophique qu'il n'entend pas bien.--Il y a le rheteur fieffe qui a
donne a Rousseau le gout des points d'exclamation, qu'il a, a son
tour, recu de lui, et qui, brusquement, sans prevenir, au cours d'une
exposition tres calme ou d'une lettre tres tranquille, s'echappe en
apostrophes et prosopopees qu'on sent parfaitement factices. Le voila
qui ecrit a Falconet: "Que vous dirai-je encore? Que j'ai une amie....
Tenez, Falconet, je pourrais voir ma maison tomber en cendres sans en
etre emu, ma liberte menacee, ma vie compromise, pourvu que mon amie me
restat. Si elle me disait: Donne-moi de ton sang, j'en veux boire; je
m'en epuiserais pour l'en rassasier."--Ceci pour s'excuser aupres de
Falconet de ne point l'aller rejoindre en Russie. Or, a cette amie meme,
a Mme Volland, il parle de la perspective et de l'approche de ce voyage
en Russie, a la meme date, avec la plus parfaite tranquillite. Et il y
a aussi en Diderot l'ecrivain ardent, impetueux, d'une prompte et vive
saillie, qui jette une scene sous nos yeux ou qui enleve un recit d'un
tel mouvement, d'un tel elan, et, notez le, avec une tell
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