laient a la vie, car, au moins a la source d'ou ils
venaient, ils avaient ete vivants et profonds.--Le siecle n'en fut
pas change, c'est trop dire; il en fut adouci et comme amolli. La
philanthropie existait, elle, devint fraternite, epanchement, expansion,
besoin de confidence et d'appel au coeur; la sensibilite existait, elle
etait dans Marivaux, dans La Chaussee, dans Prevost; elle devint a
la fois plus intime et plus pretentieuse: plus intime, j'entends
s'inquietant moins des incidents, des situations extraordinaires, des
grands et rudes malheurs, n'en ayant pas besoin pour eclater, naissant
d'elle-meme, coulant comme de source, palpitant du seul battement
du coeur, melee a toute la vie et au train de tous les jours; plus
pretentieuse, j'entends s'attribuant franchement cette fois la direction
morale de la vie, s'erigeant en dominatrice legitime de l'existence
humaine, se croyant une vertu, s'estimant un devoir, se prenant pour la
conscience, et par consequent remplacant la morale, dont la place,
aussi bien, etait depuis longtemps vide, par un egoisme sentimental et
attendri.
Tant de choses dans un roman!--Elles y etaient parce que Rousseau s'est
mis tout entier dans la _Nouvelle Heloise_, avec un peu de ses vices,
beaucoup de ses vanites, beaucoup de ses bontes et tendresses, beaucoup
de cette croyance, eternelle chez lui, que tout est affaire de bon
coeur, sans qu'il ait su jamais en quoi un coeur doit etre reconnu comme
bon; parce qu'enfin c'est encore dans son roman que ce maitre romancier
s'est le plus ouvertement peint et le plus completement declare.
VI
LES "CONFESSIONS"
Ses _Confessions_ n'en sont que le complement. Elles sont plus
piquantes, plus prenantes, nous saisissent et nous captivent davantage
parce qu'il y dit _je_; plus agreables aussi a lire pour nous, parce que
le style n'en est presque plus declamatoire, ni tendu; elles ne nous
apprennent presque rien de plus sur lui, sur ses sentiments, ni sur sa
philosophie generale. C'est la qu'on voit bien, mais ce n'est qu'une
confirmation de ce qu'on savait deja, combien a ete forte sur Rousseau
l'empreinte de sa vie de jeunesse, combien l'originalite meme de
Rousseau est faite de ses annees de vagabondage, d'insouciance, de
paresse gaie, d'_insociabilite_, et, disons-le, d'immoralite.
Nous sommes ceci et cela, beaucoup de choses diverses; nous sommes
surtout ce que nous aimons en nous. Ce que Rousseau a adore en lui-meme,
et ce qu'il a touj
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