, mais genereux, tendre
et doux. Sachons que les hommes de ce genre sont les pires directeurs
d'hommes; mais ne nions point qu'ils sont les plus seduisants des
artistes, et comprenons l'influence qu'ils ont exercee, sans que nous
consentions a la subir.
Et voila aussi pourquoi les _Confessions_ restent l'ouvrage de Rousseau
qu'on aime encore le plus a lire, sauf les quelques pages ou la
grossierete de l'auteur--aidee de celle du temps--a laisse des
souillures honteuses. C'est que dans les autres ouvrages de Rousseau le
sentiment est devenu idee, et l'idee est toujours si contestable
qu'elle deconcerte et irrite, meme quand elle est profonde. Dans les
_Confessions_, c'est le sentiment tout pur que Rousseau a epanche
naivement, complaisamment, j'ajouterai, si l'on veut, avec Voltaire, un
peu longuement. C'est que Rousseau, dans cet effort qu'il a fait pour se
detacher de la societe, de la civilisation, du monde organise, en
est venu, ici, a se detacher meme des theories qu'il instituait
laborieusement pour combattre tout cela, meme des violences et des
coleres que tout cela lui inspirait. De lui il ne nous donne plus que
lui, et, tout compte fait, c'est encore ce qu'il avait de meilleur. Il
ne nous dit plus guere: que le monde est mal fait! il nous dit surtout:
"Voila ce que je fus. Comme j'etais bon!" Et, comme il y a un peu de
vrai en ceci, on ne saurait dire en quelle mesure la confidence est plus
ridicule que touchante, ou plus touchante que ridicule.
Et voila encore pourquoi ces memoires ont leur originalite si frappante
parmi tous les memoires. Les memoires ont toujours quelque chose de
desobligeant et ceux-ci meme n'echappent point a la destinee commune. Il
y a toujours une impertinence extreme a occuper le monde de soi, et a se
donner ainsi pour une creature exceptionnelle. Mais quand, en effet, on
est un etre d'exception, non pas seulement parce qu'on est un homme de
genie, mais parce qu'on a eu une loi de developpement differente de
celle des autres, alors, si l'on peche encore contre l'humilite, du
moins l'on ne peche plus contre le bon sens, en se racontant. Les
memoires sont alors une explication des opinions et des theories,
explication dont on pourrait se passer a la rigueur, mais qui a son
sens, son utilite et son prix. Les memoires de Voltaire n'etaient pas a
ecrire, nul homme n'ayant ete plus que lui faconne par le monde ou s'est
passee sa jeunesse, et ce monde etant connu. Mais les memoires d'un
vag
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