urtant deux
ecoles tres differentes, au point de vue de la question religieuse,
sortent de l'un ou de l'autre. A Voltaire se rattachent ceux qui, allant
du reste plus loin que lui, n'ont songe qu'a renverser et a "ecraser"; a
Rousseau ceux, plus timides ou plus doux, qui ont essaye d'associer la
religion ancienne aux idees nouvelles, de creer un clerge patriote et
un clerge citoyen, et qu'a perpetuellement comme poursuivis la vision
aimable et vague du Vicaire Savoyard. Ces deux ecoles ont traverse toute
la periode revolutionnaire et toute la periode contemporaine, et on les
retrouve sans cesse l'une en face de l'autre, dans l'histoire des idees
au XIXe siecle, representant du reste deux penchants divers, tres
persistants l'un et l'autre, de l'esprit francais.
Rousseau s'est peu occupe de philosophie generale. Il n'a pas un systeme
lie et solide, et bien des fois, dans sa correspondance, il le reconnait
de bonne grace. Il n'a guere qu'une idee a laquelle il tienne fort, et
que nous connaissons deja, car ses opinions de moraliste s'y rattachent
et s'y appuient toutes. Il est optimiste profondement.--L'optimisme
misanthropique c'est la definition meme de Rousseau.--Le monde est bon
parce que Dieu est bon, c'est le fort ou Rousseau se retranche et d'ou
il ne serait pas aise de le faire sortir. Le monde est bon; seulement,
vous vous y attendez, l'homme l'a rendu mauvais. Le mal physique et le
mal moral n'embarrassent donc pas beaucoup Rousseau. Il s'en explique,
dans sa fameuse lettre a Voltaire sur le desastre de Lisbonne,
a laquelle _Candide_ est une reponse, avec une assurance et une
intrepidite de conviction tres significatives. Le mal moral, l'homme
serait mal venu de s'en plaindre: c'est lui qui l'a fait. Le peche est
de lui. Il est une monstruosite que l'homme a introduite sur la terre.
Que l'homme l'en retire, et purge le monde.--Resterait a expliquer
comment et pourquoi Dieu a cree un homme sinon mechant, Rousseau
nierait, du moins si aisement capable de le devenir; et c'est, bien
entendu, ce que Rousseau, non plus que personne, n'a jamais eclairci.
Il s'en tire, comme nous tous, par la consideration du parfait et de
l'imparfait, par cette idee que l'homme, s'il etait parfait, serait
Dieu, et en d'autres termes ne serait pas; qu'existant il doit etre
borne, fini, incomplet...--Mais l'imperfection n'est pas la malice, et
si l'homme imparfaitement bon, cela va de soi, l'homme createur du mal,
cela etonnera toujours.
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