et le faisant de pres avec toute la patience minutieuse qu'il
exige. Buffon penche, et la loupe a son oeil de myope, voila le portrait
qu'on n'a pas assez fait, voila l'attitude ou l'on n'a pas suffisamment
pris coutume de le voir; et ce portrait est plus interessant et au moins
aussi vrai que celui de Buffon en manchettes ecrivant dans un cabinet
vide. Il avait ses heures pour le microscope, le fourneau et le creuset;
il en avait d'autres pour la redaction paisible dans sa tour nue, a
la voute elevee et pleine d'air pur. La verite est qu'il a observe
et experimente infiniment, et que la moitie de son oeuvre, geologie,
mineralogie, generation, est strictement originale et deux fois de sa
main, de sa main de manipulateur et de sa main d'ecrivain.
Ajoutez cet ordre qu'il mettait en tout, dans sa vie, dans le partage de
son temps, dans la distribution de son travail, dans son domaine, dans
sa correspondance, comme dans le Jardin du Roi. Buffon est un ministere
bien tenu. Il est l'homme d'Etat de la science. Il donnait a Hume l'idee
d'un marechal de France. Ceci est l'aspect exterieur. A Montbard,
lisant, interrogeant, provoquant les rapports et les instructions,
classant, ordonnant, verifiant, centralisant et vivifiant le tout par
l'idee maitresse et dirigeante, il donne l'idee plutot d'un Richelieu,
d'un Colbert ou d'un Carnot de l'Histoire naturelle.
A travers tout cela, la grande, l'inestimable qualite du savant, la
liberte d'esprit absolue. Il n'est l'esclave que de la verite. Il a
varie, il s'est contredit. C'est qu'il avait des idees, sans cesse
nouvelles, sans cesse plus larges, et que sa saine fierte, sans melange
d'orgueil, ne lui a jamais persuade qu'il fut tenu d'honneur a repeter
les anciennes quand les nouvelles lui paraissaient plus justes. Il avait
commence par la _Theorie de la terre_, ou il rapportait a peu pres
exclusivement au mouvement des eaux toute la configuration de la
planete. Trente ans plus tard, il ecrivait les _Epoques de la nature_,
ou la planete est presque tout entiere expliquee par l'action du feu
primitif. C'est qu'entre la _Theorie de la terre_ et les _Epoques de
la nature_, a la science des calcaires et des "coquilles", s'etaient
ajoutees ses profondes etudes mineralogiques et la science des roches
vitrescibles. Et que les _Epoques de la nature_ semblent contredire
la _Theorie de la terre_, il n'importe, si, en realite, elles la
completent, et ce n'est pas l'etroite cohesion des idees
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