ppuie ici sur Cuvier, il a ete le premier a
comprendre et a faire entendre que l'etat actuel du globe est le
resultat d'une longue succession de changements dont il est possible
de saisir les traces[96]; en d'autres termes, il a le premier ecrit
l'histoire de la planete.--En zoologie, il est le createur d'une
veritable science nouvelle qu'on peut appeler la geographie des especes,
et ses idees sur les limites que les climats, les montagnes et les
mers assignent a chaque espece, sont absolument une nouveaute, et une
nouveaute vraie autant que feconde, qu'il a introduite.--Enfin en
physiologie, son explication de l'intellect des animaux, peut-etre trop
cartesienne encore, mais tres rajeunie, tres renouvelee, beaucoup plus
ingenieuse au moins que celle de Descartes, qu'on peut definir a peu
pres un systeme mecanique de mouvements reflexes, me parait une vue
un peu indecise et incertaine encore, mais vraiment toute nouvelle,
beaucoup plus rapprochee de nous que des Cartesiens, et dont les
theories les plus modernes ne sont guere qu'une application, ou, si l'on
veut, qu'un agrandissement.
[Note 96: Voir _Histoire des sciences naturelles_, tiree des lecons
de Cuvier, par Magdeleine de Saint-Agy.]
Tout au moins faut-il dire qu'il n'est region de la science des
choses visibles ou sa curiosite eveillee, patiente et infatigablement
ingenieuse, ne se soit portee, et que partout sa curiosite a ete
suggestive, evocatrice, puissante a susciter des idees et a creer des
questions, partout ouvrant un chemin ou plantant un jalon. C'est la
curiosite la plus inventive qu'on ait connue.
Tout plein d'idees, il est meilleur guide encore qu'inspirateur, et plus
utile par la methode de son esprit que par son esprit meme. Il a mis le
doigt avec une surete admirable sur les sources d'erreur, non moins que
sur les sources de verite, et demele et indique merveilleusement ce dont
il convenait de se defier. Ses defiances sont pleines de genie, ses
antipathies sont d'excellents conseils et de precieuses indications. Il
a eu de l'aversion pour trois choses, a savoir les _abstractions_, les
_classification_, et les _causes finales_. A l'etat ou elles etaient
alors dans les esprits, c'etaient trois grands ennemis de la science et
trois obstacles a vaincre, ou du moins a reduire.
L'abstraction, c'est-a-dire l'idee generale tenue, non pour une simple
vue de l'esprit et tendance ordinaire de notre faculte raisonnante, mais
pour une verite, et non se
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