te d'esprit et d'ame. Buffon a ecoute "le
silence eternel de ces espaces infinis"; et il n'en a pas ete effraye.
Il a vecu "toute sa vie dans une chambre", et il n'en a pas ete
incommode, et il n'a ete surpris que d'une chose, c'est que les hommes
pussent souffrir d'une telle existence, et la considerer comme un
"supplice insupportable".
C'est de 1730 a 1788 qu'il a montre au monde, sans le dementir, ce
singulier personnage. Il est venu parmi les agites et il les a fort
etonnes, et il en a ete tres etonne lui-meme, sans s'en inquieter
autrement. Cet homme, qui ne s'est presque jamais permis un mot plaisant
ni une boutade, a ete lui-meme, a travers tout son siecle, un long,
severe et imperturbable paradoxe.
II
LE SAVANT
C'est un tres grand savant. Aucune des qualites du savant ne lui a
manque: ni le gout de l'observation et la patience a observer; ni le
labeur enorme, continu et tranquille; ni l'esprit d'ordre; ni la clarte;
ni l'absence de passion et de parti pris, ni l'imagination scientifique,
c'est-a-dire la faculte de generalisation et d'hypothese; ni le
sang-froid a ne prendre les generalisations que comme des hypotheses, et
les hypotheses que comme des commodites de travail, ayant toujours un
caractere provisoire et toujours destinees a etre un jour abandonnee;
ni la puissance de former des systemes; ni le mepris des systemes des
qu'ils veulent etre tenus pour des dogmes inebranlables et lier l'esprit
humain qui les a produits.
Il etait patient et humble et soumis observateur, quoi qu'on en ait dit.
Comme l'attention s'est surtout portee sur son Histoire des animaux, et
sur ses deux grandes generalisations, _Theorie de la terre_ et _Epoques
de la nature_, on a beaucoup dit qu'il a souvent decrit sans avoir
observe par lui-meme, ce qui est un peu vrai pour ce qui est des
animaux, et qu'il est surtout un homme a magnifiques idees generales,
ce qui est vrai de ses deux _Discours_. Mais il faut lire son admirable
mineralogie, et sa curieuse, sagace, et pour le temps merveilleuse
embryologie, pour voir a quel point il est l'homme du laboratoire, de
l'observation cent fois reprise et de l'experience cent fois repetee. Il
y a telles pages qu'on pourrait intituler "sur la maniere de se servir
du microscope", et telles autres sur les fourneaux a grand feu, les
fourneaux a feu restreint mais active, et les miroirs ardents, qui font
aimer le grand homme applique et pratique, qui le montrent sachant son
metier
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