eut, a la rigueur, appeler de ce nom, n'est que caprices, delassements,
ou plutot distractions d'un temperament vigoureux. Il n'a jamais ni
brigue, ni tracasse, ni demande, ni exige. A peine peut-etre a-t-il
souhaite. Jamais il n'a ete irrite, jamais il n'a ete jaloux. Son dedain
vrai des critiques, le silence pur et simple, qui a peine meme est
dedaigneux, dont il les accueille, est quelque chose d'admirable. Une
chose humaine est inconnue de cet homme, c'est l'inquietude. Par la, il
semble presque echapper a l'humanite; et pour ce qui est de son siecle,
par la il s'en detache d'une maniere qui tient du prodige.
Il est bien curieux a observer quand il considere les hommes a ce point
de vue. Il ne les comprend plus du tout; ils l'etonnent jusqu'a la
profonde stupefaction. Qu'ont-ils donc? semble-t-il se dire. Ils
recherchent le plaisir, et ils ont le bonheur. "Le bonheur est au dedans
de nous-memes; _il nous a ete donne_; le malheur est au dehors, et nous
l'allons chercher." Le bonheur c'est la possession de nous-memes, et
nous ne songeons qu'a sortir de nous. "Nous voudrions changer la nature
meme de notre ame; _elle ne nous a ete donnee que pour connaitre, et
nous ne voudrions l'employer qu'a sentir_. Et il en resulte que les
hommes sont dans un etat a peu pres continuel de demence. Ils ne sont
"raisonnables que par intervalles, et ces intervalles, ils voudraient
les supprimer". Ainsi se passe leur vie, qui, etant comme dereglee et
denaturee par eux-memes, ne peut etre, que malheureuse et abregee. "_La
plupart des hommes meurent de chagrin_."
Buffon n'a eu ni ce genre de vie ni ce genre de mort. Il n'a pas
ete inquiet, il n'a eu ni chagrins, ni ennuis. Il a trouve la vie
admirablement bonne, du moment qu'il avait "une ame pour connaitre", et
puisqu'il y a plus de choses a connaitre qu'on n'en peut apprendre en
une vie. Il n'a pas senti le besoin de sentir; et le besoin de savoir ne
l'a pas quitte une minute pendant toute son existence. Le secret de
la vie naturelle de l'homme lui avait ete revele, et le bonheur de sa
destinee lui a permis de la mener dans les conditions les plus belles et
les plus nobles.
On definit incompletement, mais avec nettete par les contraires. Songez
a Pascal pour comprendre Buffon. Ce sont les antipodes. Ici le malade,
le passionne, l'eternel inquiet et l'eternel effraye. La le parfait
equilibre, la puissance calme, le regard tranquille, le travail facile
et regulier, la parfaite sereni
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