ici et la, et la puissance, sinon de persuasion,
du moins de conquete est egale. Le sceptique vigoureux n'a rien a
craindre de l'un ou de l'autre. Le riche pharisien, homme d'ordre et
partisan du "respect", sera convaincu par Voltaire, avant meme de
l'avoir lu; et la femme sensible sera aisement de l'avis de Rousseau, en
le lisant; et je ne vois guere de difference plus essentielle. Tous deux
aboutissent au meme point par des chemins tres divers. L'un a besoin
d'un minimum de religion pour se rassurer, l'autre pour garder quelque
consolation et quelque esperance; et ce minimum est le meme ou Voltaire
trouve un frein pour les autres sans contrainte pour lui, Rousseau une
douceur sans effroi, un apaisement sans inquietude et une assurance sans
devoir.--Cette philosophie religieuse est a tres bon marche, vraiment,
et a tres bon compte. A en etre, on ne perd rien, on ne risque rien et
l'on croit gagner quelque chose, ce qui est gagner quelque chose. De
ses deux aspects elle seduisit le monde d'alors, par Voltaire les
gens pratiques, par Rousseau les gens de sentiment et de temperament
oratoire. Et peut-etre les hommes du temps y ont vu ou y ont mis plus
que je n'y peux voir ou mettre; mais, quelque effort que je fasse pour
ne pas traiter legerement deux grands hommes de pensee du reste, il me
serait difficile d'en parler mieux, ou meme d'en dire plus, que je ne
fais.
Une remarque cependant. Comme, encore que revenant au meme, la
"religion" de Voltaire et "la religion" de Rousseau partent de
sentiments tres differents, il s'ensuit que les idees de Rousseau sur
la _question religieuse_ s'ecartent de celles de Voltaire. Il y a une
certaine generosite de coeur dans Rousseau, et, nous l'avons note,
certaines tendances, certain gout et certain air de directeur de
conscience, qui font qu'il n'a pas cette haine furieuse pour le
pretre qui est le cote tantot odieux, tantot ridicule, de l'auteur du
_Dictionnaire philosophique_. Aussi Rousseau n'a jamais voulu "ecraser
l'infame"; il ne pretendait qu'a l'ameliorer. Il le voulait plus
philosophe, plus "eclaire" et moins croyant, devenant un simple
"officier de morale"; mais gardant son influence, salutaire, douce, non
plus rude, imperieuse et terrible, mais son influence encore, sur la
societe. C'est la un des reves de Rousseau les plus caresses, et si j'y
insiste un peu, c'est qu'il n'a pas ete caresse seulement par lui.
Meme religion celle de Rousseau et celle de Voltaire; mais po
|