comme toujours font les
eleves. Rousseau, qui, sinon pour les idees, du moins pour ce qui est
l'homme meme, a savoir le style, n'est l'eleve de personne, apporte
avec lui un style nouveau; et comme il est passionne, c'est le style
oratoire.
Il est eloquent dans l'effusion, dans la confidence, qu'il mele a tout
ce qu'il ecrit, dans la raison, dans le raisonnement, dans le sophisme,
jusque dans les souvenirs, et sa maniere emue, attendrie et brulante de
les rapporter. Il a la suite, la pente, le prolongement facile dans la
conduite du discours, et, plutot que _l'ordre_ veritable, ce _mouvement_
qui vient de l'echauffement d'un coeur toujours en emoi, ce _mouvement_
que Buffon a donne avec raison pour la seconde des deux qualites
fondamentales du style, mais que, apres l'avoir une fois nomme, il
oublie completement et laisse a l'ecart, parce que lui-meme n'en a pas
le don.
C'est le don propre de Rousseau. Pour la premiere fois depuis plus de
cinquante ans, quand il parut, on put lire un livre comme un discours
qui saisit l'auditeur, le captive, l'entraine, le porte avec soi, et,
sans le laisser reposer, le mene au but toujours poursuivi.
Ajoutez l'eclat, la richesse du coloris, le mot qui n'est pas seulement
un signe de la pensee, mais qui est une trace de la sensation, qui vit,
qui respire et qui brille.
C'est grace a ces dons que Rousseau est non seulement un ecrivain,
orateur entrainant et seduisant, mais un peintre des choses reelles, ce
que personne n'etait plus depuis bien longtemps. C'est ainsi qu'il a pu
faire vivre la nature pittoresque dans ses ecrits et reveiller chez les
Francais le gout des beautes naturelles, susciter dans la generation
litteraire qui l'a suivi une foule de grands peintres de la nature, les
Bernardin de Saint-Pierre, les Chateaubriand, les Senancour, et surtout
son eleve passionne, George Sand.
A ces titres, j'entends comme peintre emu de la nature et comme ecrivain
eloquent, Rousseau est un grand precurseur. Ce qu'il y a de plus
sincere, de plus vrai, de plus solide et de plus durable dans la
revolution litteraire du commencement de ce siecle, en grande partie
derive de lui. Il a aime les grandes harmonies de la nature, et il a
retrouve les grandes harmonies de la phrase. C'etaient deux decouvertes,
et deux chemins ouverts au genie, et aussi a la mediocrite. Mais
qu'importe que celle-ci suive, si l'autre a passe?
X
Rousseau a ete en son temps le maitre et le guide le plus
|