acheminement, de si bonne
heure commence sans qu'elle s'en doute, vers les regions noires de la
desesperance et de la folie.
VII
SES IDEES PHILOSOPHIQUES ET RELIGIEUSES
L'originalite du temperament, l'originalite du sentiment, une certaine
originalite meme dans la conception de la vie suffisent a faire un grand
romancier et une maniere de brillant poete; elles ne suffisent point
a faire un grand philosophe, et Rousseau n'a point ete un grand
philosophe. Ses idees philosophiques et ses idees politiques sont dignes
d'attention plutot que d'admiration, et sont au-dessous de la gloire
de leur auteur, et meme de la leur propre. Sa philosophie est tres
elementaire, et les "cahiers scolastiques", comme disait Diderot en
parlant de la _Profession de foi du Vicaire Savoyard_, sont plus
brillants de forme, plus entrainants par leur mouvement oratoire et
plus engageants par leur chaleur de conviction, que satisfaisants pour
l'esprit et pour la raison.--Rousseau est parti, comme il etait naturel,
d'une morale toute de sentiment un peu vague, et d'une sorte de bonne
volonte instinctive, et apres avoir songe, comme nous l'avons vu, a
transformer ses confuses sensations du bien en un systeme, il en est
revenu a une sorte de dogme rudimentaire, fait de la croyance en Dieu et
en l'immortalite de l'ame, auquel il s'attache fortement sans renouveler
les raisons d'y croire. Autrement dit, ce qui restait en son temps, a
peu pres intact, des antiques croyances theologiques, il le relient,
il s'y complait, il aime, de plus en plus a mesure qu'il avance, a y
adherer, et il le fait aimer par l'elevation naturelle de l'eloquence
avec laquelle il l'exprime.
Rien de plus, ce me semble; et la religion naturelle de Rousseau n'a
vraiment d'originalite, et n'a eu de charmes pour ses contemporains,
qu'en ce qu'elle n'etait point prechee par un pretre, qu'en ce qu'elle
etait professee par un homme un peu indigne d'en etre l'apotre.--Elle
n'est point mauvaise; je cherche par ou elle se rattache a un nouveau
principe et a quoi elle emprunte une autorite nouvelle. Elle n'est
ni plus ni moins que celle de Voltaire, sauf peut-etre que celle de
Voltaire est decidement trop quelque chose dont il n'a besoin que pour
ses valets, tandis que celle de Rousseau est bien quelque chose dont il
a besoin pour lui-meme. Cela fait, certes, une difference, surtout dans
le ton, et le ton de Rousseau est plus convaincu et penetre; mais la
profondeur est la meme
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