Rousseau ne s'est pas fait, ou n'a pas entendu,
cette objection.
Quant au mal physique, c'est l'homme aussi qui l'a invente, a bien peu
pres, si presque entierement, que, retranche le mal physique cree par
l'homme, l'homme ne se douterait sans doute point de l'existence du mal
physique. Il ne sent que celui qu'il a fait. Il a cree les maladies par
ses imprudences et ses intemperances. Il a cree les accidents par son
humeur aventureuse et sa fureur de braver les elements dans un dessein
de lucre ou d'ambition. Il a cree les miseres sociales par la sottise
qu'il a faite de se mettre en societe. Sans aller plus loin, le desastre
de Lisbonne ne vient pas du tremblement de terre; il vient de ce qu'on a
bati Lisbonne. De bons sauvages, chacun dans sa hutte isolee, ont bien
peu de chose a craindre d'un tremblement de terre.--Reste la mort; mais
la mort sans maladie, sans accident et sans crime, apres une longue vie
saine et robuste, n'est point un mal. C'est la mort de vieillesse, un
dernier sommeil, l'engourdissement supreme, la simple impossibilite
d'exister toujours, et quelque chose qu'on ne sent point.--Voila le
systeme tout entier, et je ne l'affaiblis point, peut-etre au contraire.
Je fais effort pour ne pas le traiter de pueril. Cette vue du monde
est-elle assez etroite! Il n'y a donc que des hommes dans le monde! Mais
le mal souffert par les animaux n'existe donc pas! Leurs maladies, leurs
accidents, leurs souffrances, qu'en faites-vous? Et la loi universelle
qui veut que les etres animes vivent uniquement de la mort, prematuree
et douloureuse, des autres, si bien que, la souffrance cessant
aujourd'hui, la vie disparaitrait demain; si bien que le mal n'est pas
une exception dans le monde, mais ce par quoi le monde existe et sans
quoi il ne serait pas; si bien que la vie universelle n'est que le mal
organise, si bien que vie et mal sont tout simplement la meme chose:
voila a quoi vous ne songez pas! C'est bien etrange.--Il semble que la
pensee, quelquefois, chez les hommes surtout qui en font la complice de
leurs sentiments, paralyse une partie du cerveau, produise une sorte
d'hemiplegie intellectuelle, et que, plus elle perce vivement dans une
certaine direction, d'autant elle laisse toute une region de ce qu'elle
explore etrangere a sa prise, a sa recherche, a son soupcon meme.
L'optimisme pur, et je ne dirai pas corrige par la misanthropie,
confirme au contraire et comme renforce par la misanthropie, cheri
d'a
|