aiblie et
desarmee; et elle benit la mort qui l'affranchit d'un amour qu'elle
croit invincible, et que, saine de corps et d'esprit, elle avait vaincu.
Le double caractere de la femme, persistance des premiers sentiments,
facilite a se plier a une destinee nouvelle, se trouve donc ici; sans
compter faiblesse, audace etourdie, duplicite naive et maladroite; et
aussi gout de predication morale; et aussi relevement par la maternite;
et aussi transformation, a demi vraie et a demi sincere, de l'amour en
bienveillance et protection maternelles.--Tout cela signifie que pour
la premiere fois depuis bien longtemps une complete biographie feminine
etait faite dans un roman. Les contemporains, je veux dire les
contemporaines, ne s'y sont pas trompees une heure. Les femmes etaient
lasses, ou du moins il est a croire qu'elles devaient l'etre, de romans
ou la femme n'etait jamais qu'un jouet des passions legeres ou des
vanites cruelles, ou elle n'etait jamais peinte qu'a un seul moment de
sa vie, celui ou elle plait et est seduite. On leur montrait enfin une
vie feminine dans toute sa suite, du moins ayant une certaine suite. On
leur montrait une femme ayant des faiblesses, ayant des qualites, ayant
un caractere. Ce roman flatta en elles quelques-uns de leurs vices,
quelques-uns de leurs bons penchants, et tres directement et precisement
leur orgueil. J'oubliais le besoin de larmes, que personne n'avait
vraiment satisfait depuis Racine. Quelqu'un osait faire pleurer, et non
point par l'accumulation des malheurs epouvantables, comme Prevost en
ses longs romans, mais par la "douleur des amants, tendre et precieuse",
comme dit Saint-Evremont, par une histoire simple en son fond,
abominablement fausse aussi, mais ou les principaux personnages avaient
le gout naturel et comme l'appetit de la douleur.
Et, de plus, et surtout, ce roman pouvait etre faux, il etait sincere.
On y sentait un auteur qui etait aussi attendri du sort de ses
personnages que le pouvait etre aucun de ses lecteurs; qui adorait
Julie, Claire, Saint-Preux et meme Wolmar. C'etait un roman ecrit par un
heros de roman triste, un roman romanesque ecrit par le plus romanesque
des hommes. Le secret est la. C'est pour cela que pareil succes est
chose rare. Les hommes sont animaux d'imitation, mais ils n'imitent que
la sincerite. On imita Rousseau; on se fit des sentiments sur le modele
de la _Nouvelle Heloise_. C'etait se faire des sentiments declamatoires,
mais qui ressemb
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