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au mari, a lord Edouard, a tout le monde; c'etait vrai, puisque, aussi
bien, il y avait du Rousseau de vingt ans dans ce personnage; et c'etait
a peu pres inconnu avant la _Nouvelle Heloise_; et cela interessa comme
une nouveaute ou l'on sentait, nous savons assez si l'on avait raison de
le sentir, tout un renouvellement du roman.
Claire, un peu manquee dans la premiere partie, parce que Rousseau veut
la faire gaie et rieuse, et Dieu sait si Rousseau sait etre rieur et
gai, a un role tres juste et bien dessine dans la seconde partie. Il
ne faut pas contempler trop complaisamment ni seconder les amours des
autres, et les confidentes sont des demi-amoureuses qui deviennent
amoureuses en titre. Ainsi advient de la pauvre Claire, et cette
contagion lente de l'amour cotoye de trop pres et trop longtemps
regarde, de l'amour contemple surtout dans ses douleurs, plus
seductrices que ses joies, est d'une fine observation.
Enfin Julie, trop raisonneuse et sermonneuse sans doute, n'en est pas
moins un des caracteres les plus complets, les plus solides et les plus
vivants que la litterature romanesque nous ait mis sous les yeux.
Mal elevee, et Rousseau n'a pas oublie ce trait, et il y a insiste, par
une servante qui ressemble a la nourrice de Juliette; mise, a dix-huit
ans, par une imprudence un peu forte, dans l'intimite intellectuelle
d'un jeune homme lettre, ce qui est dangereux; passionne, ce qui est
grave; et melancolique, ce qui est desastreux; elle se laisse aller aux
premiers mouvements de son coeur; elle commet une faute; plus tard,
trop faible, et d'une conscience trop obscure et trop peu avertie pour
resister a la destinee qu'on lui fait, elle se laisse marier a un autre
homme; et, des lors (si je comprends bien), epouse, mere, maitresse de
maison, un etre nouveau nait en elle. Elle est, ce qui est le propre des
femmes, transformee par sa fonction. La jeune fille fut faible; l'epouse
(bien mariee) est digne, forte, capable de vertus, a la hauteur des
grandes taches. Elle peut revoir celui qu'elle a aime, sinon sans
trouble, du moins sans defaillance. Elle songe, sincerement, a l'unir a
une autre femme.--Mais voila qu'un coup funeste la frappe. Voisine de
la mort, le passe la ressaisit. Tout son amour ancien se reveille et
l'envahit, et alors _elle croit l'avoir eu toujours_ en elle aussi
fort et invincible que jadis et qu'aujourd'hui. L'immense empire des
premieres sensations sur l'etre humain revient sur elle aff
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