st autre chose que leur volonte meme, et qu'ils la creent et la
renouvellent en meme temps qu'ils la subissent.--Un cas fortuit etait
donc la seule chose qui put mettre fin a leur entreprise contre le sens
commun.
Les voila ces personnages ou Rousseau a mis tout son gout du faux, ces
personnages vertueux, qui sont immoraux; candides et naifs, qui sont
declamateurs; pleins de haute raison, qui font d'insignes folies.--Les
personnages de Rousseau sont des paradoxes comme ses idees.
Et ce qui est comme un paradoxe encore, c'est que, mele au romanesque
le plus romanesque qui soit au monde, il y a la un gout profond de
simplicite et de naturel. Ces personnages sont d'accord pour concerter
entre eux une vie sentimentale contre nature; ils le sont aussi
dans l'amour des plaisirs simples, et de la vie pratique ordonnee,
tranquille, douce, grave et sage. Julie et Wolmar ont le genie de la vie
morale absurde et de la vie domestique sensee, et ils gouvernent aussi
sagement leur maison que follement leur coeur. Rousseau est leur pere,
Rousseau, simple en ses gouts, sobre, econome, "qui n'usait point",
comme disent ses contemporains, serviable avec cela et charitable; mais
passionne, neanmoins, pour mille chimeres, et jetant a chaque instant un
roman etrange et meme insense dans sa vie de petit bourgeois tranquille,
timide et studieux. La simplicite dans le romanesque, c'est Rousseau
lui-meme. Il aime les deux d'un egal amour, et c'est ce qui donne a
sa simplicite toujours quelque chose de fastueux dans la forme, a ses
fictions aussi le charme dangereux d'un fond de conviction, de sincerite
et de candeur.
Et, dernier paradoxe enfin, ces personnages amoureux du faux et epris
du simple et du naif, ils ne manquent pas tous de verite. Wolmar est
decidement fantastique et n'a aucune realite; mais Saint-Preux, Julie et
Claire ont quelque chose de vrai. Saint-Preux, faible, flottant, sensuel
et lyrique, etre tout d'imagination et de sensibilite, ne pour aimer et
pour parler d'amour avec eloquence, tendresse et subtilite, sophiste
de l'amour et rheteur de la vertu, aime des femmes comme un printemps
capiteux, tiede et plein de jolis babils; il est bien vrai, et, alors,
il etait nouveau. L'amour avait ete jusque-la, de la part de l'homme,
une puissance de domination. L'homme faible, aime un peu, peut-etre
beaucoup, pour sa faiblesse, sa grace un peu molle, ses plaintes
caressantes, se faisant petit, se reconnaissant inferieur a la femme
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