'humanite, elle a mis bien des siecles pour l'apprendre, et
cet enfant qui s'instruit seul, c'est l'humanite qui recommence.--A
ceci Rousseau repond par la seconde partie de son systeme. "L'education
negative, c'est son premier point; son second point c'est ce que
j'appellerai l'_education positive indirecte_. Le maitre doit d'abord
empecher la societe d'instruire l'enfant; il doit, ensuite, non pas
enseigner, cela jamais, mais mettre l'enfant dans certaines conditions
ou il sera capable de s'instruire, bien dispose a s'instruire et excite
a s'instruire.--Ce qui instruit, ce sont les choses, et les reflexions
que l'homme fait sur elles: c'est le monde qui nous entoure et
l'intelligence que peu a peu nous en acquerons. Le maitre peut, pour
abreger l'education personnelle, rapprocher les choses de l'enfant, et
creer autour de lui un monde abrege, arrange, mais vrai. De la cette
sorte de machination perpetuelle qu'on a tant remarquee dans _l'Emile_,
et ces "coups de theatre pedagogiques"[83] qui y sont si multiplies.
L'esprit romanesque de Rousseau s'y complait, il est vrai; mais sa
methode aussi, sous peine d'etre absolument vaine et sans aucun effet,
les exige.
[Note 83: Mot d'Edmond Scherer.]
--Ne parlez jamais de propriete a l'enfant.--Mais alors, il
l'ignorera?--Non; ayez la complicite du jardinier qui jouera devant
l'enfant le personnage du proprietaire lese et fera sentir a l'enfant ce
que c'est qu'un droit.--Ne dites pas a l'enfant: "Vous etes faible; il
ne faut pas sortir seul"; mais ayez la complicite de tout le quartier,
qui, le jour ou vous aurez laisse l'enfant sortir seul, par quelques
mesaventures concertees l'en degoutera.--Ainsi de suite.
Ceci n'est que l'application particuliere de tout un systeme d'education
morale dont Rousseau avait eu, longtemps avant l'_Emile_, l'idee
confuse. Convaincu de la grande influence qu'ont les objets exterieurs
sur nos humeurs, nos sentiments et nos idees, il avait eu je ne sais
trop quel dessein d'instruire l'homme a se gouverner par l'exterieur.
Ces choses qui nous dirigent, nous devions apprendre a les diriger
elles-memes (comment? je le vois mal) de maniere qu'en definitive elles
nous gouvernassent pour notre bien. Je suppose, par exemple,--car je
ne suis pas sur de bien comprendre,--que l'hygiene bien entendue, une
habitation bien exposee, des frequentations honnetes, des exercices
physiques, etc., etaient ces choses exterieures dont nous dependons,
mais qui auss
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