'education, comme au fond de toutes les choses humaines peut-etre, il
y a une contradiction essentielle, inherente, dont on ne sait comment
faire pour se degager. Nous enseignons a ecrire, et tout style qui n'est
pas original n'est pas un style;--nous enseignons a penser, et toute
pensee que nous tenons d'un autre n'est pas une pensee, c'est une
formule; et toute methode pour penser que nous tenons d'un autre n'est
pas une methode, c'est un mecanisme;--nous enseignons a sentir, et
un sentiment d'emprunt est une affectation, une hypocrisie ou une
declamation;--nous enseignons a vouloir, et vouloir par obeissance est
l'abdication de la volonte.--L'enseignement va donc, par definition,
contre tous les buts qu'il poursuit. Les maux qu'il soigne augmentent a
les vouloir guerir, et plus il reussit, plus il echoue. La perfection de
l'enseignement aurait comme plein succes la nullite du disciple. Et cela
n'est ni un paradoxe, ni une verite de theorie. La chose s'est vue. Le
duc de Bourgogne est tres probablement le parfait disciple, le disciple
absolu. Le monde a pu le contempler.--Et pourtant il faut enseigner;
car, si la perfection de l'enseignement mene au neant; ni plus, ni
moins, mais tout de meme, l'absence d'enseignement y laisse. Nous
avons bien vu que, quoi qu'il veuille, Rousseau enseigne encore, par
suggestion au moins, et par quelque chose de plus. Il sent la necessite
d'enseigner.--On se debat dans cette contradiction naturelle et
necessaire, et l'on s'en tire, comme en toute affaire, par un moyen
terme dont on peut etre sur qu'il est defectueux, qu'il a quelque chose
des inconvenients des deux exces, et que, s'il n'est pas doublement
mauvais, du moins il l'est de deux facons; mais encore faut-il s'y
resigner. Quel sera ce moyen terme? Naturellement il flotte, il glisse
entre les deux extremes selon les temps, les lieux, les maximes
generales et les humeurs. Mais il est dans l'essence de tout ce qui
est constitue et traditionnel, de tendre vers le developpement et
l'exageration de son principe. L'education, dans les peuples civilises,
est une institution, comme l'Etat, comme une Eglise; elle tend a ce
qu'elle croit etre sa perfection, c'est-a-dire a son extension illimitee
et a l'absorption de tout en elle, sans pouvoir songer que son point de
developpement extreme, et au dela duquel elle ne laisserait rien, serait
le point juste ou ses effets seraient si acheves qu'ils seraient nuls,
et ou par consequent elle s'ecro
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