vie solitaire, cachee et meditative, sont les memes chez les deux
philosophes. Mais n'allons pas plus loin, ni meme, peut-etre, aussi
loin. Rousseau, en tout cas, est un Kant bien sensualiste encore.
Sa morale est faite de sentimentalite un peu vague, et sa religion
naturelle de l'admiration des grands spectacles de la nature. Puisqu'il
devait terminer par la religion, comme Kant, mener a Dieu par tout
le reste, que ne commencait-il, comme Kant, par l'analyse et la
demonstration de la loi d'obligation morale? Comme c'est un beau cours
de philosophie que celui qui, apres les deblaiements necessaires,
commence par l'obligation morale et finit a la Divinite, c'eut ete un
beau cours d'education, exceptionnel, disons-le toujours, mais d'un
dessin imposant et magnifique, que celui qui eut commence par le devoir
et abouti a Dieu.
Mais c'est une education attrayante que celle que donne Rousseau, plutot
qu'une education forte; et l'education attrayante est exclusive de
l'education de la volonte, et l'education de la volonte tient tout
entiere dans l'enseignement continuel, par les paroles et surtout par
l'exemple, de la loi du devoir. Emile sera bon, surtout s'il l'etait de
naissance, mais cela pour Rousseau ne fait nul doute; il sera surtout
"sensible", et legerement declamateur, et homme a effusions. Je ne
vois pas qu'il doive etre energique; et meme dans une education
aristocratique, que dis-je? surtout dans l'education d'un homme qui ne
sera pas un simple rouage de l'immense machine, mais un dirigeant, ou au
moins un independant soustrait aux communes servitudes, c'est l'energie
personnelle qu'il faut, dirai-je, enseigner? cela ne s'enseigne guere,
qu'il faut suggerer, susciter, reveiller, avertir, rappeler a son role
comme on pourra, autant qu'on pourra; dont, au moins, il faut faire
mention.
C'est un oubli; il y a bien des oublis dans l'_Emile_, parce que, comme
toujours, Rousseau ecrivait son livre avec ses sentiments et son humeur,
autant et peut-etre plus qu'avec sa raison. Il a ecrit comme le reste,
avec son orgueil et avec son esprit romanesque. Il y a, disais-je,
oublie bien des choses; il ne s'y est pas oublie lui-meme. Cette
education sentimentale, libre (ou qu'il croit libre), vagabonde, pleine
d'incidents et d'episodes, nullement didactique, et toute personnelle,
et comme spontanee, c'est la sienne, dont il se souvient, et dont il
est fier. Il est fier de n'avoir pas ete instruit, de s'etre instruit
lui-mem
|