re. Il est au moins tres
logique, et d'accord avec lui-meme, en repoussant l'education publique.
Son gouverneur est surtout un gardien des frontieres, et un chef de
cordon sanitaire qui empeche la contagion sociale de parvenir a son
eleve. Son precepteur a pour essentielle mission d'empecher l'enfant
d'etre instruit. C'est pour cela que dans ce roman domestique, non
seulement la societe, le le monde, l'ecole, les enfants du meme age
que le jeune Emile, sont ecartes avec un soin jaloux; mais la famille
elle-meme d'Emile n'intervient pas dans son education. A la mere il
semble bien que Rousseau ne demande que de nourrir l'enfant. Cela fait,
l'enfant ne parait plus lui appartenir, et elle disparait du livre. Le
pere n'y fait qu'une seule apparition insignifiante; et je crois que,
quand Emile a quinze ans, le pere est mort.--Rien de plus juste d'apres
l'ensemble des idees de Rousseau. La famille c'est la societe encore,
dont il faut a tout prix eloigner l'enfant; c'est aussi, meme chose sous
un autre nom, la _tradition_, c'est-a-dire l'amas seculaire de prejuges
et de _meprises sur sa destinee_ que l'humanite a legue et legue,
toujours plus enorme et plus lourd, aux generations successives. L'homme
naturel, voila ce qui etait bon; l'homme naturel, voila ce qu'il
faudrait tacher de retrouver.
--Mais alors retranchez aussi le precepteur!--Mais non, puisque la
societe existe! Elle est la; on ne peut pas la supprimer. Il faut donc
quelqu'un entre l'enfant et elle pour le garantir. Il faut, par malheur,
un procede artificiel pour permettre a l'homme naturel de renaitre. Le
gouverneur est l'homme qui connait et met en pratique ce procede. Il
protegera l'enfant contre l'instruction, et c'est la son role.
Il donnera a son disciple ce que Rousseau appelle tres justement
"l'education negative".
Elle consiste a laisser l'enfant se developper lui-meme et trouver toute
chose tout seul. Le maitre n'est qu'un temoin et un observateur. Il
n'est pas un homme qui enseigne. L'enfant se developpe, il le surveille,
et repond seulement a ses curiosites, sans meme les satisfaire toutes.
Il le laisse essayer, tatonner, chercher, trouver; car l'education c'est
l'apprentissage des forces de l'esprit, nullement un fardeau qu'on doit
jeter sur un esprit evidemment trop faible pour le porter.
--Mais encore, a laisser l'enfant trouver seul toutes choses, on risque
qu'il lui faille toute sa vie pour s'instruire, et plus d'une vie; car
ce que sait l
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