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que devrait-on faire pour la foule qui ne peut pas avoir de gouverneur,
et qui, bon gre mal gre, sera toujours instruite _en societe_? Je
n'admets guere un pretendu traite d'education ou une question pareille
n'est pas meme soulevee.
Pour en revenir au jeune Emile lui-meme, on remarque encore, d'abord,
qu'il n'apprend rien du tout, ensuite que cette education naturelle
de l'homme naturel destine a rester l'homme de la nature est aussi
artificielle que possible.
La premiere de ces deux objections est faible; elle ferait plaisir a
Rousseau, et elle ne m'emeut guere. Il est tres vrai, quand on fait un
petit tableau synoptique des "matieres vues" par Emile, pour parler
pedagogiquement, que cela se reduit a tres peu de chose. Emile n'a
pas ete "surmene". Un peu d'histoire, un peu de geographie, un peu
d'astronomie, un peu de botanique, un metier manuel (excellent, surtout
pour Sophie), beaucoup de morale, la religion naturelle en dernier
lieu (ce qui n'a rien que de tres juste dans une education privee et
solitaire), voila tout, ou a bien peu pres, ce qu'Emile a appris.
Il n'y a pas lieu de s'emporter contre Rousseau sur ce point. D'abord on
ne peut lui reprocher d'avoir a peu pres exclu les arts et les lettres,
puisqu'il les considere comme des agents de corruption; mais, meme en
sortant de son systeme, et en raisonnant dans le sens commun, on
doit convenir qu'il n'a pas si grand tort. Quand l'education est
l'acquisition hative et impatiente d'un gagne-pain, ce qu'elle est
forcement et fatalement pour l'immense majorite d'entre nous, il est
vrai qu'elle doit etre plus pratique, et plus materielle pour ainsi
dire; mais cela ne signifie point que celle-ci soit la vraie, ni qu'elle
soit bonne. Elle est meme tres mauvaise. Elle n'est pas une education;
elle est un apprentissage. Elle fait un bon ouvrier, non pas un homme.
Dans les conditions particulieres, exceptionnelles, et favorables, ou
Rousseau s'est place, quand on a affaire a un enfant qui n'aura pas
besoin de gagner sa vie, une precaution seulement, le metier manuel,
pour qu'il la puisse gagner si sa destinee change, et, sauf cela,
une education generale toute de culture de l'esprit, d'exercice du
raisonnement, de developpement du bon sens et d'elevation du coeur, une
longue causerie grave et judicieuse, pendant vingt ans, avec un sage,
aide de quelques bons livres en tres petit nombre: c'est l'education
veritable.--Ne croyez pas que Mme de Maintenon en ait re
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