glisse devant ses yeux, et l'avait
infiniment amuse; mais il ne le connaissait point. Du contact du
Rousseau que nous connaissons avec la societe, et du froissement
terrible qui s'ensuivit, naquit le Rousseau d'apres quarante ans, celui
qui a pense et qui a ecrit.
Rousseau arrivait a Paris avec l'education des champs, des bois, des
marches a pied, des reveries, des amours faciles, et d'une imagination
puissante et charmante. C'etait La Fontaine, plus sombre deja, parce
qu'il etait malade, et parce qu'il s'etait charge d'une compagne
stupide, tyrannique et traitresse, dont je ne dirai qu'un mot, mais
avec certitude, c'est que c'est a elle que toutes les fautes graves de
Rousseau doivent etre imputees;--c'etait La Fontaine moins leger et deja
hante de soucis; mais c'etait La Fontaine. Meme age, meme education
provinciale et champetre, meme candeur, meme tendresse caressante,
meme imagination romanesque, memes lectures libres et vagabondes, et,
remarquez-le, meme absence de manuscrits jusqu'a quarante ans.--Il fut
accueilli comme La Fontaine, avec empressement, avec engouement. Et
il se livra avec candeur, et avec passion. Il n'etait pas averti. Ces
grandes dames et grands seigneurs qui l'accueillaient, sa naivete, et sa
bonte, et son orgueil aussi, lui montrerent en eux des amis, de purs
et simples amis. Il accepta leur hospitalite sans se douter qu'elle ne
pouvait pas aller sans servitude. Les servitudes vinrent, ou au moins
les exigences.--Habiter une petite maison de Mme d'Epinay, quoi de
plus simple? Mais courir au chateau de Mme d'Epinay quand Mme d'Epinay
s'ennuie, c'est-a-dire toujours, il n'avait pas songe a cette
contre-partie, et la trouva rude.--Recevoir, a peu pres, l'ordre de
suivre Mme d'Epinay, en hiver, dans un voyage fatigant, triste et
onereux, toute affaire cessante et toute etude laissee, il n'avait pas
prevu que cela fut dans le contrat. Stupefait et desoriente, maladroit
par consequent, tergiversant, non sans une certaine duplicite, comme il
arrive presque toujours dans les situations fausses, il en vient a se
faire detester et chasser; et voila un de ses premiers contacts avec le
monde.--Aimer une comtesse, charmante du reste, et qui ne le hait pas,
mais qui est une dilettante du sentiment, nullement une heroine de
l'amour, et qui le laissera se tirer d'affaire comme il pourra, quand
une trahison domestique, ou simplement les propos du monde, les auront
compromis tous deux; s'en tirer tres mal, pa
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