ventions de la paresse
humaine, qui la frustrent, et se tournent contre elle. On a invente les
premieres sciences pour prevoir, mesurer, compter, s'accommoder mieux
sur la terre et avoir ainsi des moments de repit; les premiers arts,
locomotion, navigation, metallurgie, agriculture, pour avoir quelque
chose au grenier et a la grange, et ne pas chasser tous les jours; les
lettres et les arts d'agrement pour charmer les heures de treve ainsi
conquises. Mais on ne se doutait pas que ces moyens d'affranchissement
deviendraient puissances oppressives et absorbantes, veritables
tyrans, par l'attrait qu'elles devaient exciter; qu'elles seraient
_la civilisation_, sorte de course furieuse a la poursuite d'un ideal
reculant toujours, exigeant de l'homme, seulement pour la suivre, des
efforts enormes et une contention qui est un etat morbide continu, et
toujours aspirant a etre plus complete et achevee, et trainant l'homme
eperdument a sa suite dans un labeur toujours plus rude et un elan
toujours plus disproportionne a ses forces.--Il y a la une immense
meprise de l'humanite. Il faut que l'humanite revienne en arriere.
Mais pourra-t-elle recouvrer l'etat primitif? En un certain sens,
non; en un autre oui, et mieux que cet etat. Elle etait vertueuse par
ignorance, et heureuse sans le savoir. Sa longue erreur, dont il ne
faudrait point qu'elle perdit le souvenir, lui aura servi a revenir a
l'etat primitif par choix, par preference et par juste estime faite de
lui. Elle ne le subira plus, elle y adherera, et elle ne le vivra point
seulement, elle le pensera en le vivant; et il ne sera plus un etat
seulement, mais a la fois un etat, une idee et une volonte. Et tous les
precieux biens du premier age seront retrouves, aussi precieux, mais
plus nobles, en ce qu'on en sentira le prix. La simplicite sera mepris
de l'orgueil, l'ignorance mepris du savoir, l'insociabilite mepris
des vanites et des ambitions,--et l'innocence sera vertu. C'est a ce
troisieme etat qu'il faut parvenir, qui est un progres, et sur le
second, et meme sur le premier.
C'est ainsi que Rousseau, tout en paraissant tourner le dos a son
siecle, est de son siecle plus que personne; car sa regression est un
progres, et le plus grand que l'humanite puisse faire, et il l'en croit
capable; car sa reaction est un violent effort pour rebrousser, mais
dans le dessein de revenir en avant, une fois le vrai chemin retrouve,
et il croit le voyage possible; car son horreur pour
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