ue "jamais une piece bien
faite ne choque les moeurs de son siecle"; et il conclut que le
theatre ne saurait corriger un gout auquel sa premiere regle est de se
conformer.--Et, tout de suite, il ajoute que l'amour du bien est dans
nos coeurs, que nous sommes convaincus que la vertu est aimable par
notre sentiment interieur, et que vraiment la comedie ne pourrait
produire en nous des sentiments que nous n'aurions pas.--Tout cela est
tres juste; mais si les hommes sont naturellement bons, et si le theatre
ne leur rend que ce qu'ils lui inspirent, comment peut-il leur donner
de mauvaises lecons, et d'ou pourrait-il tenir le venin qu'il leur
communique?--Ceci n'est qu'un cas particulier de la grande contradiction
de Rousseau. Il a toujours soutenu deux choses: la premiere que l'homme
est bon, et la seconde que l'art le corrompt. Mais d'ou vient l'art, si
ce n'est de l'homme? Jamais Rousseau n'a clairement explique comment
l'homme, si parfait, a invente tant de choses qui l'ont rendu execrable;
de meme qu'il n'a jamais explique comment l'homme, ne dans l'etat de
nature, en est sorti; et, aussi bien, c'est exactement le meme probleme.
Je ne deteste, certes, point le scepticisme de Rousseau a l'endroit de
la vertu moralisatrice du theatre, quand je songe a l'idee vraiment
candide, et peut-etre pire, que se faisaient Voltaire et Diderot, ou
qu'ils affectaient d'avoir, relativement aux salutaires et merveilleux
effets du theatre sur les moeurs. Et cependant, sans aller jusqu'a tenir
le theatre pour une ecole de morale, je ne suis pas sans lui accorder
une tres legere, tres flottante, presque insensible, mais salutaire,
influence. L'argument est trop facile qui consiste a dire: le theatre
n'a jamais corrige personne. Il n'a jamais corrige precisement tel
vicieux, tel ridicule ou tel imbecile, parce qu'il est trop evident
qu'ils ne s'y sont pas reconnus. Mais il cree une atmosphere generale,
un etat d'opinion, un "milieu", comme on dit en langage scientifique,
qui ne laisse peut-etre pas d'avoir son influence, sinon sur les vicieux
ou les sots authentiques, du moins sur ceux qui sont a mi-chemin de
l'etre, c'est-a-dire sur tout le monde. Rousseau reconnait que c'est le
gout general qui est la regle du theatre. Eh bien, ce "gout general"
le theatre le renvoie au public, mais "developpe", comme dit Rousseau
encore, renforce, plus vif, exprime en traits brillants, ou en types et
caracteres saisissants. Il frappe des proverbes, et il
|