tout un homme d'imagination: tous ses
ouvrages sont des romans. Il a fait le roman de l'humanite, et c'est
l'_Inegalite_; le roman de la sociologie, et c'est le _Contrat_; le
roman de l'education, et c'est l'_Emile_; un roman de sentiment, et
c'est la _Nouvelle Heloise_; le roman de sa propre vie, et c'est les
_Confessions_.--Et dans chacun de ces romans il s'est mis tout entier,
tendresse et orgueil, illusions de tendresse et illusions d'orgueil, sa
tendresse lui tracant un ideal de bonheur simple, de vertu facile et
d'epanchement et d'embrassement fraternel; son orgueil le mettant en
guerre violente et implacable contre la societe reelle qui l'a mal
accueilli, a son gre, et lui persuadant d'en faire la satire ardente,
d'en prendre toujours le contre-pied, et de la demolir pour la
refaire;--d'ou resulte un optimiste misanthrope, un Sedaine satirique,
un Francois de Sales qui est un Juvenal, et un revolutionnaire plein
d'esprit de paix et d'amour, le tout dans un romancier de genie.
II
LE "DISCOURS SUR L'INEGALITE".
Tout Rousseau est dans le discours sur _l'Inegalite parmi les hommes_.
Ceci est un lieu commun. Je m'y resigne, parce que je le crois vrai. On
en a conteste la verite. J'y reviens parce que, controle fait, je le
crois vrai. Rousseau trouve la societe mauvaise. J'ai dit pourquoi.
C'est un plebeien qui a voulu etre du monde, qui en a ete, qui a cru
n'en pouvoir pas etre, qui s'en est cru meprise, et qui s'en venge par
en medire, tout en l'adorant encore. (Remarquez que, plus tard, dans
la _Nouvelle Heloise_, c'est un plebeien epris d'une patricienne, aime
d'elle, trahi par elle, regrette par elle et toujours reste dans son
coeur, que Rousseau mettra en scene. La _Nouvelle Heloise_ est le reve
d'une nuit d'ete d'un maitre d'etudes.) Pour le moment il n'en est qu'a
regarder la societe en son ensemble, et a la trouver horrible. _Et
pourtant l'homme est bon!_ Rousseau le sent, a se sentir, sans se bien
connaitre. L'homme bon, la societe inique; l'homme bon, les hommes
mechants; l'homme ne bon, devenu infame: cette double idee, sous quelque
forme qu'on l'exprime, et qu'il l'exprime, c'est la pensee eternelle
de Rousseau. Et il est aise de le croire, puisque c'est son ame meme.
"L'homme bon", c'est sa tendresse qui parle; "les hommes mauvais", c'est
son orgueil. Il a repete cela toute sa vie, parce que, toute sa vie, son
orgueil et sa tendresse n'ont cesse de parler.
Mais encore comment cela est-il arriv
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