e perfection
de forme, qu'on ne songe plus a la forme, qu'on ne s'en apercoit plus,
qu'on croit voir, sentir et penser soi-meme, que l'intermediaire entre
vous et la chose, que l'interprete, que l'ecrivain, en un mot, a
disparu; et c'est la le triomphe meme de l'ecrivain. C'est en cela que
Terence, et Racine, et ce pauvre Prevost une fois par hasard, et Merimee
souvent, sont des ecrivains superieurs. Diderot a une centaine de pages
ou l'on est tout etonne de le trouver de cette famille.
Et quelquefois encore, quoique bien rarement, Diderot est meme poete.
Il trouve le mot puissant et sobre, court et magnifique, si plein qu'il
descend comme d'une seule coulee dans l'ame, et la remplit et l'habite
immediatement tout entiere: "Tout s'aneantit, tout perit: il n'y a que
le monde qui reste, il n'y a que le temps qui dure."--Il trouve le
symbole exact et en meme temps riche, ample, s'imposant a l'imagination,
et il sait l'enfermer dans une periode harmonieuse dont le
retentissement prolonge longtemps dans notre memoire ses ondes sonores:
"Mefiez-vous de ces gens qui ont leurs poches pleines d'esprit et qui
le sement a tout propos. Ils n'ont pas le demon; ils ne sont jamais ni
gauches ni betes. Le pinson, l'alouette, la linotte, le serin jasent et
babillent tant que le jour dure. Le soleil couche, ils fourrent leur
tete sous l'aile, et les voila endormis. C'est alors que le genie
prend sa lampe et l'allume, et que l'oiseau solitaire, sauvage,
inapprivoisable, brun et triste de plumage, ouvre son gosier, commence
son chant, fait retentir le bocage et rompt melodieusement le silence et
les tenebres de la nuit."--Et voila, certes, qui est etrange, de trouver
dans l'auteur des _Bijoux indiscrets_ une pensee, un sentiment et une
"strophe" de Chateaubriand.--C'est que le style c'est l'homme, _quoi
qu'en_ ait dit Buffon: le style est la melodie interieure de notre
pensee, et la pensee de Diderot a ce caractere entre tous qu'elle est
inattendue, meme de lui-meme. Inegal, inconstant, multiple, versatile,
girouette sur le clocher de Langres, comme il a dit, il est, selon le
quart d'heure, vulgaire, plat, ordurier, tendre, aimable, charmant,
quelquefois sublime; et son style, non appris, non acquis, non
surveille, non chatie, non corrige, son style d'improvisateur, comme
sa pensee, est capable de bassesses, d'obscurites, d'incorrections,
de gaucheries, de graces, de vivacites aisees et brillantes, parfois
d'echappees subites vers les hau
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