teurs, et meme de serenites imposantes.
VI
Quelques intuitions de genie, quelques recits plein de verve, quelques
silhouettes bien enlevees, quelques theories neuves trop melees
d'obscurites, beaucoup de polissonneries, beaucoup de niaiseries,
enormement de verbiage et de fatras fumeux, voila ce qu'a laisse
Diderot. Rien de complet, rien d'acheve, ni comme systeme philosophique,
ni comme oeuvre d'art. Son role a ete plus grand que son oeuvre. Par
son infatigable activite, par ses qualites estimables, et presque
inestimables, de caractere et de bon coeur, il a tenu une tres grande
place en son temps; il a ete le lien entre les esprits et les caracteres
les plus difficiles et quelquefois les moins faits pour s'entendre,
et personne plus que lui n'etait ne directeur de journal. Il ne lui a
manque qu'un vrai et grand genie, ou peut-etre seulement de la suite
dans les idees, pour mener son siecle, que personne n'a mene, comme il
est arrive d'ailleurs a presque tous les siecles.--Il l'a rempli d'un
grand bruit d'audaces, de scandales et de papier remue. Il a vecu dans
cette fournaise et ces bruits de forge comme dans son element naturel.
Il a fort agrandi le calme atelier de son pere, et fabrique beaucoup
plus de couteaux que lui, moins inoffensifs. C'etait un rude ouvrier
que le travail grisait, et aussi la recreation, et aussi les histoires
racontees, les discussions et la rhetorique. De pensee calme, de
reflexions, de meditation, de contemplation, au milieu de tout cela,
aussi peu que rien. Vrai Francais des classes moyennes, sans esprit,
sans distinction, plein d'intelligence, de facultes d'assimilation, de
facilite au travail et a la parole, avec un ideal peu eleve, peu de
scrupules de moralite, et un tres bon coeur. Il s'est laisse aller a
cette nature, si melee de mal et de bien, de tout son mouvement et
de tout son elan, incapable de reaction contre lui-meme, comme de
reflexion. Cette nature, il la croyait bonne; le souci, le sentiment
seulement, de notre infirmite, de notre misere, et de notre puissance a
nous ameliorer, lui etait inconnu. Quand cela manque, on ne peut etre
qu'une force de la nature tres interessante. Il l'a ete. Ce n'est pas
peu.
Sa fortune litteraire a ete curieuse. Tres connu dans son temps et tres
en lumiere comme remueur d'idees et "philosophe", beaucoup moins comme
artiste, il a eu cette chance, pour prolonger sa gloire, que ses ecrits
les plus heureux, les plus piquants, les plus viv
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