oint que n'en pas rendre compte c'est
causer sur l'oeuvre d'art et non point en faire la vraie critique.--Il
faut s'entendre, et ne point trop demander. Chaque art a sa beaute
propre que ne peut comprendre, je dis comprendre, et pleinement et
minutieusement gouter, par consequent, que l'homme qui connait a fond la
technique de cet art. Par exemple il faut avoir fait beaucoup de vers
pour savoir quel est le secret de la beaute d'un vers de Lamartine
ou d'une strophe d'Hugo. Mais d'autre part les arts ont une beaute
d'_expression_ qui leur est commune, c'est-a-dire sont faits pour
eveiller dans les ames certaines sensations generales, un peu confuses,
il est vrai, mais fortes, dont la foule est susceptible, et dont,
aussi, elle est juge. Pour me servir du spirituel apologue de M.
Sully-Prudhomme[81], peinture, sculpture et musique, par exemple, sont
un Anglais, un Allemand et un Italien qui racontent le meme fait chacun
en sa langue devant un homme qui ne sait que le francais. Le Francais ne
les comprend pas; mais a leur mimique il entend tres bien que la chose
racontee est triste ou gaie, dramatique ou bouffonne ou gracieuse, et il
ne perd nullement son temps a les entendre et regarder. Tres sensible
meme, femme, enfant, ou meridional, il pourra meme rire, pleurer ou
sourire a leur recit. Voila ce que la foule entend aux choses des arts.
Chaque art a sa _langue_ particuliere, tous ont un _langage_ commun.
[Note 81: _L'Expression dans les Beaux-Arts_, I, 2.]
Eh bien, supposez maintenant un interprete. Quel service pourra-t-il
rendre au Francais qui ecoute? Pretendre le faire entrer dans le talent
de narrateur de l'Anglais ou de l'Italien qui est la, il n'y doit point
songer. C'est toute la langue anglaise ou italienne qu'il faudrait
qu'il commencat par enseigner, dans toutes ses nuances. Mais appeler
l'attention sur tel geste et telle intonation, traduire en passant tel
mot plus necessaire qu'un autre a un commencement d'intelligence du
recit, donner une idee generale, confuse encore, sans doute, mais deja
plus saisissable du fait raconte, voila ce qu'il peut faire. Et voila ce
que le critique d'art doit se proposer. Il entre, de quelques pas, dans
la technique, sans cesser de se tenir, a l'ordinaire, dans le domaine de
l'expression, et il donne, par quelques vues discretes sur la technique,
un peu plus de precision a la sensation d'ensemble, a l'impression
generale qui affectait la foule.
Et ceci est affaire de mesu
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