n a plus dans
Diderot et beaucoup dans Sainte-Beuve. Voltaire est l'homme qui s'est
le plus repete. Il n'est guere de livre de philosophie, de critique
religieuse, d'histoire religieuse surtout, de critique litteraire meme,
qu'il n'ait fait dix fois, sous differents titres,--et on les retrouve
ensuite dans sa Correspondance. Il a meme certaines plaisanteries qui
lui sont cheres, qu'on retrouverait chacune une centaine de fois dans
ses oeuvres en faisant un bon index. C'etait simplement un homme tres
instruit, se tenant au courant, bien renseigne, qui reflechissait tres
vite, qui a vecu longtemps, et qui ecrivait deux pages par jour, ce qui
est tres considerable, non pas stupefiant. Mais toute cette bibliotheque
en impose.
Bien des critiques, aussi, sans s'en rendre compte, lui ont su gre
d'avoir ete un si grand personnage. Il est rare qu'un homme de lettres
devienne riche, grand proprietaire, grand chatelain et un peu prince.
Qu'un sans plus, ou a bien peu pres, soit devenu tout cela, cela ne
laisse pas de flatter l'esprit de corps, et dans ce beau mot de "royaute
intellectuelle de Voltaire" il n'est pas impossible que le souvenir de
ses trois ou quatre chateaux et de ses quatre ou cinq millions soit
entre pour quelque chose.
Voila de petites explications d'une immense gloire. Il y en a de plus
grandes. Il est beaucoup plus rare qu'on ne croit que les grands hommes
de lettres soient l'expression du pays dont ils sont, et representent
brillamment l'esprit de leur nation. Ni Corneille, ni Bossuet, ni
Pascal, ni Racine, ni Rousseau, ni Chateaubriand, ni Lamartine, ne me
donnent l'idee, meme agrandie, embellie, epuree, du Francais, tel que je
le vois et le connais. Ce qu'ils representent, c'est chacun un cote de
l'esprit francais, une des qualites intellectuelles de cette race,
comme choisie, et portee par eux a son point d'excellence, ce qui
fait precisement que, tant a cause du choix exclusif qu'a cause de
la superiorite, ils ne nous ressemblent guere. Voltaire, lui, nous
ressemble. L'esprit moyen de la France est en lui. Un homme plus
spirituel qu'intelligent et beaucoup plus intelligent qu'artiste, c'est
un Francais. Un homme de grand bon sens pratique, de grande promptitude
de repartie, de jeu de plume brillant et vif, et qui se contredit
abominablement quand il se hausse aux grandes questions, c'est un
Francais. Un homme impatient des jougs legers et s'accommodant des
plus lourds, c'est un Francais. Un homme qui s
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