ous frappe amicalement sur le genou.
C'est un bon compere.
Et comme il a bien, je ne dis pas arrange, et pour cause, mais fait sa
vie, en partie double, avec ses defauts et ses qualites! D'une part
il fait l'_Encyclopedie_. C'est son bureau. C'est la qu'il est "bon
employe". Ponctuel, attentif, devoue absolument au devoir professionnel,
travailleur admirable, ecrivain lucide, sachant, du reste, faire
travailler les autres, et excellent "chef de division"; il est l'honneur
et le modele de la corporation. Decent, aussi, et tres correct en ce
lieu-la. Point d'imagination, et point de libertes, du moins point
d'audaces. Au bureau il faut de la tenue. L'histoire de la philosophie
qu'il y a ecrite, article par article, est fort convenable, nullement
alarmante, tres orthodoxe. Ce pauvre Naigeon en est effare et
s'essouffle a nous prevenir que ce n'est point sa vraie pensee que
Diderot ecrit la. Il s'y montre meme plein de respect pour la religion
du gouvernement. Un bon employe sait entendre avec dignite la messe
officielle.
D'autre part, il fait ses ouvrages personnels, et il s'y detend. Ce sont
ses debauches d'esprit. Ce sont ses ivresses. Ils semblent tous ecrits
en sortant d'une tres bonne table. Ce sont propos de bourgeois francais
qui ont bien dine. C'est pour cela qu'il y a tant de metaphysique. Ils
sont une dizaine, tous de classe moyenne et de "forte race". L'un est
philosophe, l'autre naturaliste, l'autre amateur de tableaux, l'autre
amateur de theatre, l'autre s'attendrit au souvenir de sa famille,
l'autre aspire aux fraicheurs des brises dans les bois, l'autre est
ordurier, tous sont libertins, aucun n'a d'esprit, aucun, en ce moment,
n'a de methode ni de clarte; tous ont une verve magnifique et une
abondance puissante; et on a redige leurs conversations, et ce sont les
oeuvres de Diderot.
II
SA PHILOSOPHIE
Les idees generales de Diderot, infiniment incertaines et
contradictoires, car Diderot n'est pas assez reflechi pour etre
systematique, sont cependant ce qu'il y a en lui de plus considerable
et digne d'attention. Ce sont des intuitions, mais quelquefois, assez
souvent, les intuitions d'un homme superieur. Vous savez, du reste,
qu'avec toute sa fougue, il est informe. Il est tres savant, plus
que Voltaire, qui l'est beaucoup, infiniment plus que Rousseau, plus
peut-etre, plus diversement au moins, que Buffon. Il sait toute
l'histoire de la philosophie, d'apres Brucker, sans doute, mais par
lui-m
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